Le Porteur de mauvaises nouvelles

Laissez-moi vérifier ma sténographie mentale, messieurs, dis-je. À propos de ce que vous voulez que je fasse. Que je ne commette pas d'erreur. Si cette fosse commune est remplie de juifs, alors je dois l'oublier. Mais si elle est remplir d'officiers polonais, cela fera le bonheur du Bureau.
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Roman - Noir

Le Porteur de mauvaises nouvelles

Social MAJ mardi 24 novembre 2009

Note accordée au livre: 4 sur 5

Poche
Inédit

Tout public

Prix: 10 €

Pierre Saha
Villeneuve-d'Ascq : Ravet-Anceau, avril 2009
244 p. ; 17 x 11 cm
ISBN 978-2-914657-83-9
Coll. "Polars en Nord", 45

Pierre Corneille dans les corons

Nous sommes au début des années 1970, dans le Nord. Une ville ordinaire qui vit au rythme des usines. Celles-ci tournant encore à plein rendement, avec leur lot de syndicalistes, de vies ouvrières où se mêlent travail, pêche, danse du samedi et entrainement de football.
Gabriel Mornet est un ouvrier. Sa première femme est partie avec leur fille. Il a beaucoup bu, s'est battu, a été chassé de la ville. Aujourd'hui, repenti, sobre, il est revenu, s'est remarié et sa nouvelle épouse lui a donné un fils. Il partage son temps entre sa vie de famille, grise et monotone, et son jardin ouvrier.
Mais sa femme a rencontré un autre homme. Elle a découvert une autre vie, une vraie vie. Pour l'instant, elle mène cette double vie tranquillement mais les gens jasent. Comme d'habitude, Gabriel sera le dernier au courant. Peut-être même aurait-il pu jouer l'idiot ? Mais une lettre anonyme arrive. Comment va-t-il réagir ?
Le lecteur un peu attentif se méfie toujours avec les polars régionaux qui sont souvent très intéressants d'un point de vue régional mais ont peu de matières d'un point de vue intrigue. Ici, Pierre Saha fait mentir cet a priori. Le roman change de point de vue de manière intelligente, suivant le mari, puis l'épouse avant de revenir au mari.
L'auteur ne se concentre pas sur le fait divers, sur le mort, expédié en quelques pages vers la fin du roman, mais sur l'engrenage qui y mène. La vie étriquée, mais avec son charme désuet, de la province, des particularismes ouvriers, des petites gens du Nord, les ragots sont décrits avec soin et le lecteur partage intimement les pensées des personnages. On sent effectivement une ambiance simenonienne dans les détails psychologiques, dans cette méticulosité à rendre compte, à créer une atmosphère et une correspondance entre les états d'esprit des personnages et les décors. En quelques lignes, on se sent en empathie avec ce couple dont on voit bien les motivations, les non-dits.
Tout le roman se dévoile dans cette lente description qui crée son propre rythme, sa vie propre, où il y a si peu de "méchants" mais tant de gens ordinaires englués dans un quotidien qui les broie, des représentations sociales contre lesquelles ils butent comme des mouches contre une vitre, dans cette fatalité qui touche à la tragédie antique.

Citation

De Gaby Mornet, il ne resterait rien d'autre que le souvenir d'un homme qui, sa vie durant, n'avait fait que passer, sur la pointe des pieds, quêtant désespérément une sorte de reconnaissance qui jamais n'était venue et jamais n'aurait pu venir. Jamais.

Rédacteur: Laurent Greusard lundi 23 novembre 2009
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