Ils ont tué Leo Franck

Les porcs se laissèrent approcher un instant plus tard, après qu'elles en eurent surpris deux occupés à détriper un enfant, le corps de sa mère - probablement - étendu à côté, ouvert du pubis au sternum, vidé de sa ventraille et de la masse déchiquetée de ses poumons et du reste.
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Bande dessinée - Noir

Ils ont tué Leo Franck

Social - Procédure - Faits divers MAJ mercredi 27 mai 2020

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 18 €

Xavier Bétaucourt (scénario), Olivier Perret (dessin)
Paul Bona (coloriste)
Paris : Steinkis, février 2020
102 p. ; illustrations en couleur ; 27 x 21 cm
ISBN 978-2-36846-373-4

Histoire d’un lynchage

Samedi 26 avril 1913 dans la ville sudiste d'Atlanta. L'heure est à la grande parade du Confederate Memorial Day, mais ce jour est un tournant morbide pour deux de ses habitants. Tout d'abord pour Mary Phagan, jeune employée de seize ans dans une fabrique de crayons, puisqu'elle est retrouvée morte dans la cave de l'immeuble où elle travaillait. Puis pour Leo Frank, le patron juif de l'entreprise. Très rapidement, un suspect noir est arrêté, mais tout aussi rapidement la police, le procureur et le juge sont convaincus de la culpabilité de Leo Frank.
Pourquoi ? La réponse est peut-être à trouver dans l'Histoire américaine. Celle de l'immédiat après-guerre de Sécession. Le pays n'a pas cessé de panser ses plaies à peine cinquante ans après la fin de la guerre. Le schisme entre les États du Nord et du Sud n'est pas près de disparaître (a-t-il d'ailleurs disparu ?). Mais pour l'heure, à Atlanta, les Sudistes en ont surtout après ceux qu'ils appellent les "Carpetbaggers", ces financiers du Nord qui se sont nourris sur la bête du Sud. Et Leo Frank a un double-handicap : il en est un représentant et il est juif. Les auteurs de cette bande dessinée de non-fiction, Xavier Bétaucourt (scénariste, très factuel laissant l'empathie à ses lecteurs) et Olivier Perret (dessinateur, très classique mais talentueux, usant d'une bichromie à la mode, et s'effaçant derrière le scénario) parlent même d'une affaire Dreyfus à l'américaine. À la lecture de cette investigation graphique, on ne peut que leur donner raison.
La trame est découpée en trois parties. Le début nous donne un avant-goût de ce qui va nous être proposé. On assiste au lynchage nocturne de Leo Frank par des hauts notables d'Atlanta et au déchainement d'une foule presque en délire sur le corps de la victime. C'est une scène qui aurait pu paraître banale si Leo Frank était noir. Nous sommes alors en 1915 dans le sud des États-Unis, et la ségrégation bat son plein. Par la suite, un vieillard aux portes de la mort, en Virginie en 1982, accueille deux journalistes pour leur raconter une histoire. Celle dont il a été témoin quand il travaillait comme garçon de bureau à la National Pencil Compagny alors qu'il n'avait que quatorze ans. Et le témoignage de cet homme va être plutôt accablant contre toutes les institutions policières et judiciaires de l'époque. Le problème dans cette affaire, comme dans la plupart des erreurs judiciaires, c'est que la police a des convictions et qu'elle ne cherche qu'à être confortée et ce très tôt alors qu'a priori elle a arrêté le véritable coupable, Jim Conley. Mais ce dernier est un roublard et malgré ses mensonges avérés, il comprend très vite qu'il doit faire le jeu de la police. Et ce d'autant plus que la personnalité froide de Leo Frank joue contre lui. La bande dessinée d'investigation, à la bichromie de rigueur, reprend les "Une" des journaux de l'époque, dresse un constat accablant d'un certain journalisme avide de sensationnel qui colporte des rumeurs et n'hésite pas à faire des mises en scène, toujours dans l'espoir de vendre du numéro. C'est une réussite dans la mesure où la population est elle aussi avide d'un sensationnel qui lui permet de trouver des boucs émissaires à toutes ses frustrations, et lui offre l'occasion de justifier une violence libératrice à venir. C'est une histoire sordide mais malheureusement banale comme auraient pu l'écrire John Steinbeck ou Erskine Caldwell. Mais c'est une histoire véridique que l'on découvre, lecteur impuissant, et qui interroge. Tout comme les deux auteurs qui se demandent si cette histoire reflète le passé ou le présent des États-Unis dans une ultime partie où le président Donald Trump s'exprime au sujet d'une affaire qui a touché la commune de Charlottesville, dans l'État de Virginie, le samedi 12 août 2017, en marge de deux manifestions, quand un suprématiste blanc a foncé dans une foule tuant une personne et en blessant dix-neuf autres. En ce qui concerne l'affaire Leo Frank, la seule éclaircie proviendra de quelques personnes qui se seront posé les bonnes questions, et qui n'auront pas hésité à se mettre en danger. Une maigre consolation pour Leo Franck, et pour Lucille, son épouse, qui ne l'oubliera jamais. Mais c'est aussi LA réponse universelle à donner. Car ceux-là sont des héros pas très ordinaires. En quelque sorte, Xavier Bétaucourt et Olivier Perret redorent le blason de l'investigation journalistique, et apportent une ébauche de réponse à leur propre interrogation. Ils ont tué Leo Frank est un témoignage, et s'ancre dans la mémoire (collective) de ses lecteurs. Et c'est bien le principal pour éviter que l'Histoire ne se répète inlassablement.

Illustration intérieure


Citation

Vous savez, Atlanta n'était pas une ville facile à vivre en 1913. Il y avait des tensions entre les Noirs et les Blancs. À cause des émeutes de 1906. On se méfiait. Mais quand j'y pense, le problème était plus entre les riches et les pauvres. Et nous on était pauvres.

Rédacteur: Julien Védrenne mercredi 27 mai 2020
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