L'Inconnue de l'A10

Elle, son univers, c'est son atelier, le ronron de son four, la texture de la glaise entre ses mains. Elle travaille en silence, ou avec France Musique, selon son inspiration. Elle travaille surtout et avant tout dans son monde imaginaire, voyant parfois prendre vie l'objet de ses fantasmes. Elle redessine un univers, le pare de couleurs douces ou vives selon son humeur. En un mot, elle créé de la beauté. Pas la mort et la dévastation.
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Essai - Policier

L'Inconnue de l'A10

Énigme - Procédure - Faits divers MAJ lundi 09 novembre 2020

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 16,9 €

Georges Brenier & Adrien Cadorel
Paris : La Manufacture de livres, octobre 2020
204 p. ; 20 x 12 cm
ISBN 978-2-35887-649-0

Très Cold Case

C'est une horrible affaire et elle est peu connue. Mais, outre dans la mémoire des enquêteurs, elle est restée dans celle des habitants de Suèvres, petite ville du Loir-et-Cher dont le territoire comprend le tronçon de l'autoroute A10 où, le 11 août 1987, deux salariés de Cofiroute, découvrent le cadavre d'une petite fille sur le bas-côté, dans le sens Paris-Province. La petite inconnue sera en effet inhumée dans leur commune et ils n'auront de cesse, pendant plus de trente ans, de mettre un nom sur sa tombe. Âgée de trois ans environ, la victime, au visage déformé par les ecchymoses, est étroitement enveloppée dans une couverture bleue. Son corps martyrisé est plein d'anciennes fractures qui se sont ressoudées toutes seules, sa peau est marquée de profondes trace de brûlures et de morsures. Épouvantable.
Sans céder à l'apitoiement, ni à une empathie de premier degré, ni au radio-trottoir, Georges Brenier et Adrien Cadorel, tous deux journalistes, décrivent sobrement la formidable enquête qui va suivre. Pendant trente et un ans, les juges d'instruction, les procureurs, les experts vont se succéder, impulsant à chaque fois de nouvelles recherches pour que l'enquête ne s'arrête pas, malgré les deux non-lieux. Grâce à leur style carré, les auteurs parviennent à faire saisir au lecteur estomaqué l'acharnement des enquêteurs à découvrir l'identité de cette enfant de façon à la faire exister enfin, elle qui ne devait être rien pour avoir été autant martyrisée pendant toute sa courte vie. Affiches, émissions de télévision, relais par la presse, appels aux polices étrangères, aux fichiers de la CAF, de la Sécurité Sociale, examen des listes de mairies pour les inscriptions en maternelle, appels aux assistantes sociales, aux médecins, aux spécialistes des sectes, des maladies mentales s'approchant de la lycanthropie : c'est donc au développement de tout l'arsenal judiciaire que l'on assiste. Voilà l'exemple même du travail de la justice, et les auteurs en sont les talentueux rapporteurs. Hélas, les échecs s'empilent les uns sur les autres. Cette enfant n'avait-elle donc aucune existence ?
En parallèle de ce récit stupéfiant, les auteurs mettent aussi en évidence l'incroyable essor de la recherche scientifique qui est allé de pair avec celui du numérique. En 1987, les gendarmes ne pouvaient consulter que un par un les milliers de dossiers des services sociaux d'un département, puis d'une région, puis des régions attenantes à celles du Loir-et-Cher. On ne pouvait que citer un groupe sanguin à partir d'une tache de sperme. L'ADN, les prélèvements sur les condamnés et surtout les recherches sur fichiers informatiques conduisant à des matches d'ADN proches viendront à bout de cette énigme et de cette enquête au long cours. Là encore, les auteurs font preuve d'un réel professionnalisme dans l'explication finale qu'ils développent suffisamment pour bien nous faire comprendre que cette mort était la fin inéluctable d'une situation terrible. On en sort épouvanté et remué mais aussi fasciné par cet écrit si bref mais si précis, efficace et compétent pour plus de trente années d'enquête. Un travail magistral.

Citation

Pour les seuls départements du Loiret et du Loir-et-Cher, les militaires obtiennent au total 10000 noms, 10291 familles très précisément, qui perçoivent des allocations de l'État en tant que parents d'une petite fille de la même tranche d'âge supposée que la 'petite' de l'A10.

Rédacteur: Michel Amelin lundi 09 novembre 2020
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