Le Grand effroi de John Pickett

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Roman - Thriller

Le Grand effroi de John Pickett

Religieux - Complot - Artistique MAJ mercredi 07 juillet 2021

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 21 €

Harold J. Benjamin
Paris : Cohen & Cohen, septembre 2020
218 p. ; 23 x 16 cm
ISBN 978-2-36749-076-2

Conspiration artistique

À Londres, dans le quartier de Bishop's Gate, John Pickett, peintre de son état et portraitiste apprécié, mène une vie paisible avec son fils Tobias – dont la mère est morte en couches – et sa compagne Lies van Hoot, drapière native d'Anvers qui a choisi de le suivre après qu'il l'eut tirée des griffes des Espagnols pendant le pillage de la ville, en 1576, où il avait été lui-même envoyé en tant que soldat du comte de Leicester. Il y perdit un bras, mais il put néanmoins continuer à exercer son art grâce à l'assistance de Tobias – et donc à cumuler les commandes. Ainsi est-il, avec Tobias, appelé à Sigmeere Hall chez Ambrose Beaufort, comte de Huntingdon. L'accueil, à l'occasion de cette première séance de pose, est on ne peut plus cordial. Mais à la faveur d'un bref repos et d'une escapade vers les jardins, John, intrigué par un bruit, s'écarte et découvre un homme sans connaissance dans une pièce dérobée. Le voilà devenu témoin très gênant. Mais au lieu de l'éliminer purement et simplement, le comte propose au peintre un étrange marché : pour avoir la vie sauve, il devra simplement faire son métier - exécuter, contre rémunération, des portraits. Celui de trois personnes qu'il lui aura désignées. En guise de garantie, Ambrose Beaufort garde Tobias en otage – à des conditions elles aussi étranges : le temps que le jeune garçon restera auprès de lui, il sera considéré comme un membre de sa famille et, à ce titre, recevra la même éducation qu'un gentilhomme.
Les ennuis n'arrivant jamais seuls, John a la mauvaise surprise, en rentrant de Sigmeere Hall, de trouver son atelier investi par un juge et ses sbires, occupés à saisir des gabarits, des carnets d'esquisses... Les choses continuent de se compliquer lorsque meurent l'un après l'autre, sitôt le travail de John achevé, les trois hommes dont il a peint le portrait. De témoin gênant il devient suspect de trois meurtres, puis traître potentiel lorsqu'il se voit contraint de satisfaire à une nouvelle requête du comte de Huntingdon. Cruel dilemme pour John : ou bien il obéit aux hommes de sir Walsingham1 – et, par là, renie ses engagements vis-à-vis de Beaufort, ce qui l'expose à de sévères représailles – ou bien il refuse – et, jugé pour haute trahison, il sera condamné à mort et sa famille à l'exil...

Au gré d'une construction irréprochable – l'agencement des passages qui fait aller d'un foyer narratif à l'autre sans que l'on se perde mais force à la patience, la manière dont les chapitres s'interrompent, toujours en un "point de chute" qui suspend au récit : autant de traits qui témoignent d'une belle maîtrise de l'architecture romanesque – une intrigue se déploie, que l'on voit peu à peu se complexifier tandis que se découvrent une époque et un contexte sociopolitique éloignés dont on comprend vite qu'ils sont restitués avec soin. De chapitre en chapitre on relie sans peine les éléments de l'énigme jusqu'au dénouement, intéressé en outre au sort des personnages au point que parfois l'on saute des pages pour savoir plus vite ce qui leur arrive ‒ pages vers lesquelles on revient d'ailleurs avec autant de hâte. Comme dans tout bon roman historique, les figures authentiques côtoient de près les personnages fictifs ; les descriptions abondent et, cachets d'authenticité, nombre d'expressions anglaises sont conservées qui sont traduites et expliquées succinctement en note, de même que certains points d'histoire sont éclairés. À ce jeu de tissage l'équilibre entre précision informative et dynamique romanesque est fort bien trouvé.

Last but not least, notons que cet habile polar artistique déjoue quelques attendus... Ainsi l'intrigue criminelle se noue-t-elle hors de l'œuvre. Ses ressorts, d'ordre à la fois politique et privé, n'ont à la vérité rien de pictural – bien que le principal protagoniste soit peintre et l'exercice même de son art un élément fondateur du récit. Et si l'on s'imagine, à voir surgir dans le texte un mystérieux glyphe accompagné de quelques références à John Dee, mettre le pied dans un labyrinthe initiatique retors à souhait l'on en sera pour ses frais – mais c'est justement par ces attendus déjoués que ce roman gagne en attrait. Face à tant d'atouts, on regardera comme vénielles les quelques coquilles repérées, voire la faute consistant à montrer un peintre que l'on sait manchot "prostré [...] se tenant la tête entre les mains", ou bien celle faisant changer de genre grammatical des "groupes d'hommes" lorsque "l'une d'entre elles" doit investir une place...

En bon français, Le Grand effroi de John Pickett est un page turner pur jus mais, ici, ce qualificatif n'a rien de péjoratif – il est simplement d'ordre... mécanique en quelque sorte, et loin d'être oublié sitôt fermé, ce livre laisse trace, quelque chose de son univers subsiste dans l'esprit bien après que l'on en a lu le fin mot. Comme si le regard du noble portraituré en couverture2 était celui du Roman incarné qui, accrochant le vôtre, vous demandait muettement : "Alors, que penses-tu de tout ça ?"

À l'heure où tout ou presque se numérise, il importe de ne pas clore cette chronique avant d'avoir évoqué la matérialité du volume car il est rare de voir des livres de grande diffusion où sont à ce point conciliés élégance, sobriété, lisibilité... et plaisir tactile. L'objet mérite en effet que l'on s'y arrête : le format, la nature du papier des pages intérieures comme de la couverture, le pelliculage mat de cette dernière confèrent à l'ouvrage une souplesse, une douceur sous les doigts qui le rendent très agréable à manipuler et à feuilleter ; la teinte crème des pages, l'interlignage, les blancs tournants optimisent le confort de lecture bien que les caractères restent d'une taille toute modeste. Enfin ‒ clin d'œil bibliophilique ? ‒, de discrets fleurons parsèment le texte. Voilà de quoi, n'en doutons pas, séduire quiconque continue de préférer les pages de papier aux liseuses et autres tablettes.

1. Sir Francis Walsingham (c. 1530-1590), secrétaire d'État d'Élisabeth Ière et connu pour être son "maître-espion". Favorable à l'usage de la torture, il déploya un zèle sans relâche dans la traque des catholiques et, plus largement, des conspirateurs anti-élisabéthains.
2. Sir Thomas Gresham (détail d'un portrait en buste peint par Antonio Moro [Utrecht, c. 1520-Anvers, entre 1576 et 1578]). À la faveur de cette précision, soulignons combien ce choix d'illustration est judicieux : le portrait (comme en réalise John Pickett) d'un riche marchand (à qui les trois "clients" de John emprunteraient l'un ou l'autre de leurs traits) qui fut aussi un financier au service d'Édouard VI puis d'Élisabeth Ière. Antonio Moro, lui, est un peintre néerlandais (comme Lies) qui très tôt gagna une réputation de portraitiste... Où l'on voit de fines résonances jouer dans la conception de la couverture : à deux niveaux, composée d'une reliure d'un blanc immaculé dont le premier plat montre en vignette calée à gauche le portrait déployé à fond perdu sur la jaquette qui l'enveloppe tandis qu'au dos de celle-ci se lit à l'identique le texte occupant le second plat, elle se peut interpréter comme une métaphore de l'Énigme dont la clef n'apparaît qu'au prix d'une traversée du "montré"...

Citation

Mais quelque chose n'allait pas dans ce tableau. Il prit deux pas de recul, puis deux autres, sans pouvoir déterminer ce que c'était. Il le regarda de haut en bas, puis de côté. Et cela lui apparut.

Rédacteur: Isabelle Roche mercredi 07 juillet 2021
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