Les Fables assassines

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mardi 23 avril

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Roman - Policier

Les Fables assassines

Pastiche - Enquête littéraire - Secte MAJ mardi 24 août 2021

Note accordée au livre: 2 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 19 €

Laurent Ibri
Paris : Ramsay, juin 2021
374 p. ; 23 x 14 cm
ISBN 978-2-8122-0248-3

Des "Assassines" éreintées (ou peu s’en faut)

Un roman policier... Voilà une intention des plus louables que de célébrer le 400e anniversaire de la naissance de La Fontaine par un livre ne relevant ni de l'édition "nouvelle et augmentée" des "Écrits complets", ni de l'essai savant, ni de la biographie de circonstance (romancée ou non). Et pensant peut-être qu'honorer Jean de La Fontaine en plaçant certaines de ses fables au cœur d'une intrigue criminelle était trop banal, peut-être aussi en écho à la manière dont notre cher fabuliste s'est magistralement approprié les fables d'Ésope pour écrire les chefs-d'œuvre que l'on sait, Laurent Ibri a doublé son hommage d'un pastiche. Comme La Fontaine, il s'est emparé d'un modèle existant. Et quel modèle ! Rien moins que le fameux "canon", saluant du même coup sir Arthur Conan Doyle et son héros Sherlock Holmes, sans doute le personnage de fiction dont les avatars sont à ce jour les plus nombreux. Entreprise forcément jubilatoire ! Retrouver des fables dont à peu près toutes les enfances ont été bercées a de ces parfums de "petite madeleine" auxquels personne ne résiste longtemps ; quant à la référence doylienne, sitôt décelée on sait que l'on n'aura de cesse que de repérer les signes holmésiens et de les faire jouer par rapport à l'œuvre originale... C'est donc en état de forte appétence que l'on ouvre ce fort volume – presque quatre cents pages – et que l'on s'aventure dans un récit qui, ma foi, commence fort bien et laisse entrevoir son content de nodosités retorses. Mettons donc nos pas dans ceux du professeur Ranchassel qui, en digne émule de John Watson, rapporte dans ses moindres détails l'étrange affaire à laquelle il a été mêlé aux côtés du très célèbre détective Albugo Padeloc, par ailleurs son colocataire et ami...

Octobre 2021. Les deux compères se rendent au Grand Collège international de France. Ils sont conviés à la grande soirée organisée à l'occasion du centième anniversaire de la prestigieuse institution, fondée par Arthur de Précelle et dirigée aujourd'hui par son petit-fils Louis de Précelle. La célébration vire au cauchemar quand Eduardo Manicelli, fameux capitaine d'industrie transalpin et principal mécène du Grand Collège, s'effondre net au milieu de son discours. Empoisonné ! Tout naturellement, le doyen de Précelle demande à Padeloc de se charger de l'affaire, parallèlement à l'enquête officielle dirigée par le commissaire Félix Dumont. Ce foudroiement suspect s'éclaire petit à petit, à la lumière d'indices ténus (un brin de paille, une broche, moult petites choses a priori insignifiantes mais qu'enregistre l'esprit affuté de Padeloc...), de plusieurs autres morts bizarres et des recoins obscurs d'un bâtiment abandonné sur le site du Grand Collège – éléments que seul Padeloc pouvait songer à lier dans un raisonnement déductif. Une affaire sordide se révèle ainsi, ancrée loin dans le passé du Grand Collège et dont le cœur bat dans le corps mystérieux d'une société secrète à huit membres sacrifiant à des rituels strictement ordonnancés, marqués au sceau des Fables de La Fontaine.

Je dois l'avouer : ma jubilation inaugurale a cédé le pas à une lassitude croissante, qui elle-même a glissé vers l'agacement, et ma lecture s'est muée en pensum – celui du chroniqueur qui, par souci d'honnêteté intellectuelle, met un point d'honneur à lire jusqu'au bout et sans rien en sauter un livre. Le pensum eût probablement été moins pénible s'il n'y avait eu autant de coquilles, de fautes diverses et variées – dès la page 15 c'est un subjonctif refusé à une construction qui l'exige ; un peu plus loin on découvre avec étonnement que l'on peut avoir peur "en" quelqu'un plutôt que "de" quelqu'un... ‒ saupoudrées d'impropriétés manifestes (par exemple se coiffer "d'une tunique noire, d'un masque d'animal et d'un objet quelconque"...). Parasitée de la sorte, l'attention peine à s'accrocher aux aspects purement investigationnels de l'histoire, surtout quand il faut à maintes reprises traverser les réflexions tortueuses de l'éminent Padeloc et ses déductions...

Sans compter cette sensation que j'ai éprouvée from cover to cover que les Fables "assassines" étaient convoquées à marche forcée, pour que l'intrigue concoctée les intègre nolens volens et que soit ainsi justifiée leur transcription in extenso. Laquelle, au passage, laisse à désirer : il eût été bien plus agréable à l'œil de lire des vers alignés à gauche que de les voir ondoyer des deux bords, comme si les Fables lorgnaient vers les calligrammes. Mais ce n'est déjà plus, ici, que ma subjectivité qui donne de la voix. Elle encore qui trouve ce roman inutilement bavard, bardé d'une cocasserie qui certes fait souvent rire mais lasse quand elle se déploie en des longueurs superfétatoires. Elle enfin qui s'est fatiguée de la volonté trop appuyée de revitaliser ces expressions dites "figées" où l'image savoureuse s'est affadie jusqu'à l'os – une marque stylistique témoignant d'une créativité débridée mais qui tourne à l'effet de manche : avoir un chat dans la gorge devient "[...] le matou à peu près docile qui gratouillait sa gorge allait se métamorphoser en un lion éructant et belliqueux" ; le regard qui tue évolue en "[...] décocher des flèches depuis l'arc de ses sourcils en ordre de bataille"...

Ce roman qui m'a tant déçue ne manque pourtant pas d'atouts : son auteur y fait preuve d'un indéniable talent de conteur, d'un style bien affirmé, d'une belle puissance imaginative et d'un humour souvent plaisant. Mais il faut déblayer pas mal de scories pour voir tout cela briller sous son meilleur jour...

Citation

Je promenais mon regard dans la pièce et je me disais que j'avais de la chance d'avoir un jour croisé la route d'Albugo Padeloc - j'en raconterai une autre fois les circonstances. Il était devenu mon ami le plus cher, et de loin la personne la plus intéressante que j'aie jamais rencontrée dans toute mon existence.

Rédacteur: Isabelle Roche mardi 24 août 2021
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