En plein XIXe siècle décadent, Charles Baudelaire est déjà ce poète de génie entre l’idéal et la fange qui traîne son spleen et ses problèmes d’argent de bordel en estaminet tout en cherchant réconfort auprès de sa muse et amante Jeanne Duval la mulâtresse haïtienne. En rentrant chez lui après une soirée bien arrosée, il croit trébucher sur une poivrote dans le caniveau… sans se rendre compte que la femme n’a plus de tête ! Tête qui est envoyée à l’adresse toute proche de Jeanne… avec un poème de Baudelaire dans le carton ! En attendant, un humble allumeur de réverbères tombe sur un autre cadavre décapité… Suivant le mot accompagnant la tête, Baudelaire la remet à un personnage appelé le Ratier, en fait l’un des informateurs du ci-devant Vidocq. Détail macabre : la tête a un œil arraché au couteau. Ce serait celle d’une mère maquerelle surnommée la Diva, mais voilà, s’il y a une tête et un cadavre décapité, les deux ne correspondent pas ! C’est dans un décor digne des « Mystères de Paris » que Charles Baudelaire va mener l’enquête.
Certains usent leurs personnages de série jusqu’à la trame, d’autres préfèrent passer à autre chose. Le Commissaire Léon ayant une durée de vie limitée dès le départ à dix tomes, Nadine Monfils a mis fin par la suite à sa série consacrée à Mémé Cornemuse, qui a tenu plus longtemps qu’elle ne l’aurait dû, et qui en fit la véritable fille spirituelle d’un certain San-Antonio version belge (même si San-Antonio lui-même a bien trop étiré sa série éponyme jusqu’à la caricature), même si elle a repris ses personnages pour une pochade en 2020. Mais dans les derniers romans, la gravité pointait sous la gaudriole… Ont suivi « Les Enquêtes de Magritte et Georgette », où il s’agissait déjà de dynamiter le roman à énigme (pardon, cozy mystery) et le polar historique. Huit tomes, rien à jeter. Cette fois, elle revisite ce monument qu’est Charles Baudelaire (on ne voit pas pourquoi l’éditeur en rajoute dans le belgitude en notant « un mystère 100% belge » alors que si Nadine Monfils a contribué à faire revivre la nouvelle école belge du polar, ce roman est sans doute son moins « belge » depuis longtemps) en faisant revivre l’ère des faits divers, puisque le XIXe siècle, avec les progrès de l’imprimerie, a été son âge d’or. Assassinats mystérieux et « malles sanglantes » ont fait les délices du grand public — influence directe des feuilletonistes de l’époque culminant avec l’inoubliable « Fantômas ». On retrouve le style de l’auteure, son écriture ciselée sans effets intempestifs, cette comédie humaine vue avec un regard mi-moqueur mi-attendri et son sens du macabre (on se demande ce que ferait Nadine Monfils d’un roman purement fantastique horrifique, style qu’elle apprécie, maintenant que le genre semble faire son grand retour). Le tout est aussi pétri d’affection pour ce personnage complexe et subversif qu’était Baudelaire, qui était bien loin des pages des manuels scolaires et choquait encore le bourgeois. Encore une réussite ? Encore une réussite. Et deux autres tomes sont prévus.
