D'abord, on se dit que, comme avec les autres, on va prendre des notes, un crayon à la main. Mais c'est sans se méfier de Roseanna qui n'est pas un livre comme les autres. C'est-à-dire que Roseanna a une façon d'encapsuler le lecteur qui lui est très particulière. Une méthode basée sur le temps, un truc d'horloge interne. Le tic-tac de Martin Beck, inspecteur principal de la police nationale suédoise enveloppe, traîne en longueur, s'arrête, repart, nous accrochés derrière, absorbés avec beaucoup d'efficacité.
En y réfléchissant, c'est sans doute parce que le héros principal est lui aussi totalement digéré, victime de son histoire personnelle, submergé de l'affect. Sa femme règle l'intendance, prend la voix de sa mère : « Fais attention à ta gorge. En cette saison, le temps est traître, surtout le soir. » Alors Martin Beck s'accroche à son boulot, aux amis du boulot, comme un naufragé à sa bouée de sauvetage, évite la psychologie à la maison et la dégaine aux heures de service.
Un détective catholique aurait pris une maîtresse. Martin Beck, protestant bon teint, retourne bosser. Une bête de somme, un rêve de patron. Le cauchemar des assassins. Car Martin Beck a choisi la police. Et l'assassin de Roseanna, retrouvée au fond d'un canal proche de la petite ville de Motala, a la mauvaise idée de brouiller les pistes. Que voulez-vous, c'est l'assassin. On comprend très vite que plus l'intrigue s'épaissit et plus Martin Beck va s'échiner avec plaisir, et nous avec.
Publié une première fois en 1970 aux éditions Planète, puis en 1985 chez 10-18, Roseanna ressort dans la collection « Noir » de Rivages. Magistralement construit, le texte n'accuse pas une ride, on jubile à l'idée des neuf autres volumes de la série à paraître.