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Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Laurent Philibert-Caillat
Paris : Presses de la Cité, juin 2015
554 p. ; 23 x 14 cm
ISBN 978-2-258-11636-8
Coll. "Sang d'encre"
Dépression story
C'est un meurtre pas comme les autres qui ensanglante Detroit : après avoir été assassiné, un jeune garçon a eu son corps mutilé, mêlant son buste aux pattes d'un cerf. Dans cette ville sinistrée emblématique de la crise, un esthète bien particulier vise un dessein connu de lui seul... C'est à l'inspectrice Gabrielle Versado, des Homicides, qu'incombe l'enquête. À elle de tenter de retrouver le meurtrier pendant que sa fille Layla délaissée traque les pédophiles sur Internet avec une amie sans se douter que le Mal rôde à sa porte. Pour Jonno Haim, le journaliste au bout du rouleau, cette affaire est peut-être l'ultime moyen de relancer sa carrière...
Amateurs de thrillers industriels rassurants écrits à la mitrailleuse avec un œil sur les sacro-saintes séries téloches et où tout est rassurant malgré un défilé d'horreurs, passez votre chemin ! En quelques années (depuis l'excellent Zoo City), la Sud-Africaine Lauren Beukes se joue des genres et établit ce qui ressemble de plus en plus à une œuvre. Dans ce roman, dont le point de départ n'eut point déplu au grand Serge Brussolo, l'identité du tueur (dont il n'est pas fait mystère) ou sa traque sont accessoires : ce qui compte ici, c'est avant tout les personnages. Certes, souvent, les auteurs font semblant de nous en mettre pour faire acheter des bouquins, mais ils sont souvent définis par deux traits à la louche, toujours selon le principe des sacro-saintes séries téloche. Ici, on se situe plus dans une littérature du malaise, un peu comme des romanciers tels que Russel H. Greenan ou Deanne Barkley pour son méconnu Libres sévices, roman dans lequel les exactions d'un meurtrier servaient avant tout de révélateur à une faune urbaine décalée.
En ce sens, le choix de Detroit n'est pas qu'un artifice commercial car cette ville sinistrée où pourtant une vie - notamment artistique -, tente de se réapproprier les friches industrielle est emblématiques pour ces personnages qui, tous, ont leur fêlure (on sera d'ailleurs en droit de préférer le titre original, Broken Monsters — "les monstres brisés" — bien plus éloquent) hantent ce décor cauchemardesque, servi par un style faussement simple (et, on imagine, excellemment traduit) qui, peu à peu, tisse un paysage blême et tuméfié digne d'une chanson de Joy Division qui pourrait correspondre à une certaine SF pessimiste. La fin, loin de se contenter de l'éternelle course-poursuite au résultat couru d'avance, dévoile les mobiles du tueur en une métaphore purement fantastique - sans déflorer, mettons qu'on n'est pas loin du génial Vidéodrome de David Cronenberg.
On en sort en apnée, persuadé d'avoir lu là ce qui sera certainement l'un des meilleurs romans du genre de l'année, mais aussi en se demandant ce que ce diable de femme (aussi sympathique que monstrueusement talentueuse) est capable de nous sortir, elle qui n'en est qu'au début de sa carrière. À lire séance tenante histoire de se désintoxiquer des têtes de gondoles et autres lisagardneries réduisant le genre à son plus petit commun dénominateur !
Citation
Luke Stricker ressemble encore plus à une brute depuis qu'il se rase le crâne, le genre de type qu'on s'attendrait à voir avec des menottes au poignet plutôt qu'à la ceinture. Qu'il soit sur l'affaire complique les choses, mais c'est l'un des flics les plus compétents de l'équipe. Et la compétence est très attirante. Surtout en ce moment.