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Grand format
Inédit
Tout public
416 p. ; 23 x 16 cm
ISBN 978-2-07-014352-8
Coll. "Série noire"
Monde de charognards
Les plus anciens d'entre nous se souviennent de la prise de la Moneda, de la première fois où le 11 septembre fut vraiment synonyme d'effroi. On se souvient de la mort de Salvador Allende, de Victor Jara et de groupes chiliens parcourant les rues de l'Europe bien frileuse en chantant "El condor pasa". Et le condor évoque aussi de manière très évidente les charognards que l'on voit se dandiner sur les corps en putréfaction dans les déserts. Pour les plus politisés, le condor renvoie au nom de code d'une célèbre opération qui consistait à liquider les opposants politiques aux gouvernements militaires d'Amérique du Sud. C'est à tous ses sens que nous convie Caryl Férey avec un nouveau thriller aussi performant que les précédents. Un mélange entre une intrigue noire très forte, des personnages bien dessinés et dont l'auteur sait évoquer les forces et les failles, les envies et les compromissions, et un arrière-plan qui donne à voir un pays, une situation politique, des éléments géographiques, et tout un paysage historique qui conditionne aussi les aventures.
Il y a le désert, un homme blessé, agonisant mais pourquoi le tuer alors que les condors qui rôdent dans le ciel sauront s'en occuper ? Dans ce désert minéral de l'Atacama, il y a aussi un vieil homme qui tente de survivre au milieu des mines abandonnées. Dans une de ces mines, il y a le corps de son père mort et momifié lors d'un éboulement. Sous ses pieds, il y a l'eau qui pourrait s'avérer si utile et, autour de ses terrains, des charognards humains qui entendent bien profiter de sa fin prochaine pour lui offrir une bouchée de pain contre des terres qui valent beaucoup. Il y a aussi des restes de l'opération Condor avec des ex-tortionnaires reconvertis dans le libéralisme le plus effréné. Ils ont volé, pillé, tué. Ils ont changé de nom et gèrent le pays sans s'occuper de morale. Face à eux, il y a des rescapés dont un ancien garde du corps de Salvador Allende, qui survit au malheur, essaie de retrouver l'amour dans les bras d'une jeune femme, et qui rêve encore en secret à son ancienne amoureuse disparue durant la dictature. Il y a des charognards contemporains comme ces petits revendeurs de drogue qui tentent de se voler entre eux, d'escroquer un petit peu leurs commanditaires, des policiers qui semblent dépassés par les morts qui ponctuent la vie des bidonvilles. Il y en a de plus gros comme cet avocat qui commence à avoir des remords de passer des valises de billets pour corrompre à droite ou à gauche. Mais un roman noir ne devient scintillant, aussi, que par sa face plus claire : notre ancien garde du corps, une députée qui veut la vérité, un prêtre qui essaie de sauver les corps autant que les âmes, une jeune femme liée aux puissances magiques du pays, un flic honnête.
Caryl Férey sait écrire des romans noirs et tout son talent éclate une fois de plus. Il n'hésite pas à cabosser ses personnages, à révéler leurs côtés obscurs, à liquider un personnage sympathique en plein cœur du récit, car dans la réalité, il arrive aussi, plus souvent qu'à leur tour, que les salopards gagnent. Grâce à son style, il sait rendre visible à nos yeux un désert et sa vie minérale, une party chez les riches, un moment de paix dans un village indigène, une cérémonie chamanique, les désarrois d'un salaud ou la vie qui fait vieillir et corrompre même ceux qui avaient de grandes idées. Il y a le souffle de l'espoir, de l'Histoire et de l'humanisme derrière une histoire construite avec soin, qui sait nous parler de notre monde, de ses contradictions, et du bonheur qui peut s'y nicher au cœur des souffrances.
Citation
D'ordinaire, personne ne s'aventurait dans cette zone devenue dépotoir où les chiens errants rôdaient, prêts à s'entredéchirer pour des rebuts dans le no man's land qui constituait le territoire d'El Chuque.