Contenu
Poche
Réédition
Tout public
Traduit de l'anglais (Irlande) par Pierre Bondil
Paris : Folio, septembre 2011
376 p. ; 18 x 11 cm
ISBN 978-2-07-044291-1
Coll. "Policier", 627
Besoin de vomir
Dans son célèbre et seul essai Entretien avec le professeur Y, Louis-Ferdinand Céline expliquait qu'un auteur doit construire son roman comme s'il prenait le lecteur dans une rame de métro émotif et qu'il devait, lui, l'auteur, l'emmener à bon port. Si le lecteur est bien assis dans son wagon de TER et que le train ne déraille pas, le voyage sera de qualité. C'est ainsi que lire une enquête mettant en avant Jack Taylor, le privé créé par Ken Bruen, s'apparente à ce genre d'expérience. L'enquête n'est souvent qu'un prétexte pour montrer à travers le parcours chaotique du personnage, oscillant entre addictions diverses, bagarres et descriptions acérées de la réalité irlandaise.
Dans La Main droite du diable, Jack Taylor sort d'un hôpital avec la ferme intention de ne plus boire - ce qui paraît hautement contradictoire avec le fait de vivre en Irlande, d'être détective privé et désespéré par la façon dont se délite la société qui vous entoure. Il est chargé par un vieux prêtre (qui fut l'amant, peut-être, de sa mère) d'en savoir plus sur la mort d'un curé, retrouvé décapité. Si cet honorable ecclésiastique a trouvé la mort, c'est sans doute la vengeance d'un enfant de chœur dont le mort abusait.
L'intérêt de La Main droite du diable ne consiste pas dans cette trame narrative, mais bien dans la description longue et désabusée d'un seul personnage : Jack Taylor. Il a perdu tout repère mais comment en chercher dans une société qui n'en dispose plus, qui tourne en rond, où l'on en vient même à regretter les prêtres, certes pédophiles mais qui structuraient l'univers ? Dans cette déréliction constante, un détective privé en enquêtant doit reconstruire l'ordre du monde... Quel ordre ? Symbolisé par le propre malaise de Jack Taylor qui se reproche d'avoir mal surveillé la fille de ses amis et d'avoir par sa négligence provoqué sa mort, comment trouver une rédemption possible ou une logique dans cet univers froid, où même l'alcool ne réchauffe plus ?
Peut-être en aimant les gens malgré leurs défauts comme Ken Bruen avec ses personnages. Peut-être en développant l'humour, cette politesse du désespoir. Peut-être en écrivant des livres émotifs qui entrainent les lecteurs, ne les lâchent plus et les laissent lessivés à l'arrivée, constamment au bord du déraillement et le cœur au bord des lèvres, car le Monde et l'alcool portent la même malédiction : le besoin de vomir.
On en parle : Carnet de la Noir'Rôde n°44
Citation
Ce qui était indéniable, c'est qu'ils s'accordaient sur un point, à savoir que j'étais un raté, ivrogne, bon à rien, fieffé gredin. Des amitiés se sont construites sur moins que ça.