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Comme le fantôme d'un jazzman dans la station Mir en déroute
Grand format
Inédit
Tout public
Chronique
Après une série de braquages réussis, le plus dur c'est de savoir s'arrêter. Le narrateur de ce court roman et son amie, Karen, se le tiennent pour dit, prennent l'oseille et se tirent, en une cavale qui leur fera traverser l'Europe, puis l'Afrique. Ils fuient la police, mais aussi le Centre de recherches où ils se sont rencontrés et où l'on enferme toutes les victimes d'une maladie mystérieuse. Ce neurovirus leur fait expérimenter des rêves d'un réalisme effrayant, puis des états dépressifs sévères au réveil ; il leur donne également des capacités analytiques hors du commun qui leur ont permis de tout planifier : les braquages, leur fuite méthodique, les changements d'identité, les fausses pistes... Mais quelque chose ne tourne pas rond. On leur colle sur le dos un braquage ayant mal tourné et s'étant déroulé après leur fuite hors de France. Et Karen expérimente une crise plus grave que les précédentes, qui lui a permis de rencontrer dans son sommeil, au cœur d'une station Mir sur le point de se désintégrer, un fantôme du passé, celui du saxophoniste Albert Ayler, mort dans des circonstances pas complètement élucidées en 1970. Un fantôme qui sera leur ange gardien et leur permettra de débloquer les possibilités offertes par le virus...
Que les amateurs du Dantec première période – celle de La Sirène Rouge et des Racines du mal – se rassurent. Dans Comme le fantôme d'un jazzman..., Dantec délaisse l'expérimentation quelque peu hermétique qui avait pu laisser perplexe une partie de son lectorat. Le récit est court et dense, l'intrigue plus linéaire, rythmée par les scènes d'action ; les deux cents pages du roman se dévorent. Mais pas de doute, cela reste du Dantec : on retrouve, de façon moins démonstrative, les thèmes du surhomme et du chamanisme. On savoure les envolées lyriques de Karen – qui explique très sérieusement que la station "se situe au nexus des dimensions cachées de l'univers, celles qui émergent dans la matière noire ou dans la dark energy, celles que [leur] lumière biologique, vivante, métacorticale, est seule capable de percevoir, et de contrôler". On sourit aux scènes de combat millimétrées où le narrateur évite les coups "comme le saule ployant sous le vent" avant de tataner gratuitement le premier junkie qui passe à l'aide d'une des cinquante techniques d'arts martiaux qu'il maîtrise évidemment à la perfection. Puis on lève les yeux, un peu interloqué. N'y aurait-il pas là un soupçon de second degré ? Dantec se moque-t-il (gentiment) de son lecteur en s'auto-parodiant ? La réponse est dans une interview disponible sur le site de l'auteur : en réalité, ce texte descend d'une nouvelle commandée en 1995. Plus qu'à un retour aux sources, c'est à un texte d'époque que nous avons droit...
Voilà qui explique beaucoup, même si c'est un peu décevant. Mais pourquoi bouder son plaisir ? Le roman est pulp, cyberpunk, bourré d'action, ça va à cent à l'heure et on ne s'ennuie pas. Certaines mauvaises langues ajouteraient, pour ce dernier point, que cela nous change agréablement de certains pavés de l'auteur.
On en parle : Alibis n°30
Citation
Il y a des types qui n'ont vraiment pas de pot, même au cœur de l'Afrique, ils vont faire les malins avec un gars élevé dans ce qu'on avait appelé un jour le 'Val-de-Marne'.