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Relecture de Shane Kuhn : mon nom est Lago, John Lago
17/06/2015
"En fait, si tu te fais choper en train de lire ce guide, tu seras mort avant d'avoir tourné la page et ton cadavre sans visage et sans doigts sera divisé entre six sacs-poubelle et dissous dans une cuve d'acide sulfurique d'une usine chimique anonyme au fin fond du New Jersey."
On nous apprend dans une notice que Shane Kuhn est "producteur et metteur en scène et qu'il vit à Los Angeles". C'est sans doute pour cette raison que l'on ressent à la lecture d'Un stagiaire presque parfait, son premier roman, la patte d'un homme de l'image et surtout le don pour un pitch attractif. Ce titre se présente en effet comme Le Guide de survie à l'usage des jeunes stagiaires écrit en secret par John Lago, ex-tueur à gage de RH Inc. S'ouvrant sur une note de service prioritaire ultra secrète du FBI, on y découvre que RH Inc. est une agence avec beaucoup de moyens qui infiltre ses tueurs auprès d'hommes d'affaires importants et ultra protégés, grâce au statut désespérant de "stagiaire", pour ne pas dire "esclave", couverture commode pour se faire oublier, repérer les lieux, et se placer peu à peu dans l'organigramme avant d'occire la cible malgré tous les systèmes de sécurité.
John Lago prend donc la parole et donne ses sages conseils au lecteur. Enfant de la balle, recruté à onze ans par le patron de RH Inc., une caricature de mercenaire à mâchoire et épaules carrées, il a été formé à toutes les techniques de combat, camouflage, infiltration avant d'exécuter ses premiers contrats. À vingt-cinq ans, il doit prendre sa retraite car on peut difficilement se faire passer pour un stagiaire crédible au-delà. Et c'est justement là que le bât blesse car RH Inc. ne le laissera certainement pas couler des jours tranquilles sur une île paradisiaque avec toutes les infos qu'il a dans ses bagages...
Après les conseils pratiques et drôles des premiers chapitres, illustrés par des scènes issues de ses précédents contrats, John Lago amorce le récit de son ultime mission et parallèlement, le récit de son enfance. Très vite, le roman, par son ampleur des actions, ses combats multiples et incroyables, ses références cinématographiques, s'inscrit dans un courant parodique entre Arnold Schwarzenegger, James Bond et Jason Bourne. Les situations sont si codifiées que l'on peut même voir, dans certains rapports de personnages, des hommages appuyés à des films comme Mr et Mrs Smith avec le couple Brad Pitt/Angelina Jolie. Le livre ne serait-il pas un, ou des scénarios, refusé(s) que Shane Kuhn aurait remonté(s) avec l'amusant guide comme cerise sur le gâteau, arôme critique sociologique ? Peut-être. Car après le guide servant d'appât, le roman prend le pas, ce qui fausse la structure globale.
Mais, surprise ! Loin de tomber dans un écrit parodique et bas de gamme que l'on aimerait mieux voir en image, Shane Kuhn tient la route, bifurque, exploite plusieurs pistes, fonce, ralentit et surprend toujours. Alors que les cadavres des hommes de main s'empilent par douzaines, John Lago mène sa double vie de stagiaire bouseux et de machine à tuer en entamant une intrigue avec une avocate associée qui elle aussi joue double jeu. Il enquête, en plus, sur son enfance et l'identité de son père biologique. Qui manipule qui ? Tout est bouclé dans une incroyable scène finale à tiroirs.
Voilà un roman surprenant qui se joue des codes Action hollywoodiens d'une façon littéraire et originale.
À recommander de toute urgence.
À noter l'excellence de l'illustration de couverture, due à Roberto de Vicq de Cumptich (vrai nom pour jouer le méchant noble décadent dans un James Bond). Cette signalétique historique d'ossuaire est entièrement constituée de matériel de bureau ! Au-dessus de ce dessin, "Un tueur sur la route sous Prozac", slogan imprimé en rouge, issu de la critique du Figaro Magazine lors de la première édition chez Sonatine sous le titre... Guide de survie en milieu hostile... Encore une preuve que certains critiques ne lisent rien, trop occupés à monter leurs petites phrases destinées à être reprises par les services de presse qui font de la pub à leur support par ricochet. Les éditeurs (et les lecteurs) devraient se méfier...
Liens : Guide de survie en milieu hostile
Par Michel Amelin