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Henning Mankell (sujet d'ouvrage)
Traduit du danois par Anna Gibson
Paris : Le Seuil, octobre 2013
292 p. ; illustrations en noir & blanc ; 22 x 15 cm
ISBN 978-2-02-108230-2
Coll. "Biographies-témoignages"
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La sacro-sainte rentrée littéraire est bien loin d'être terminée, et elle touche de plein fouet les romans policiers. Cette semaine de parutions - riche en nouveautés - offre son lot d'ouvrages difficilement contournables à commencer par Belém, du Brésilien Edyr Agusto, assurément l'un des polars de l'année. Mais si les éditions Asphalte frappent un grand coup, elles ne sont pas les seules. En effet, Gallmeister propose un roman de Trevanian (qui est un auteur toujours très intéressant à suivre avec des intrigues d'espionnage, le plus souvent, particulièrement bien ficelées et surtout caustiques), tandis que Le Seuil tentera de nous réconcilier avec Don Winslow dont les derniers romans avaient tendance à sombrer dans la facilité. Les Presses de la Cité font paraitre leurs valeurs sures : Mo Hayder et Elizabeth George. L'Aube, avec Kishwar Desai, et Liana Levi, avec Malcom Mackay, proposent deux romanciers particulièrement à suivre. Évidemment, ne pas parler d'Heinrich Steinfest (Montparnasse), Bill Pronzini (Denoël) et Gilda Piersanti (Le Passage) relèverait de l'impair. Pour notre part, nous préférons attirer votre attention sur un petit ouvrage argentin, Thèse sur un homicide.
En jeunesse, les éditions Casterman proposent un très bel album d'un photographe qui a mis en scène des Playmobil pour reconstituer Le Chien des Baskerville. Les photos sont vraiment de toute beauté avec des profondeurs de champ particulièrement éblouissantes. Les éditions Textuel, elles, ont sorti deux petits essais précieux, un sur Columbo, un autre sur la littérature policière. Et La Martinière, deux beaux livres sur le polar et la Brigade de répression du banditisme. Gageons que le second fera moins de vagues que le premier. Il faut ajouter un ouvrage de Mankell sur Mankell et la boucle est presque bouclée.
Comme vous le voyez, une semaine riche et qui met rudement à l'épreuve le porte-monnaie, voir le portefeuille !
Fictions adulte grand format :
Belém, de Edyr Augusto (Asphalte, "Fictions")
Pièges dans le Yellowstone, de C. J. Box (Le Seuil, "Policiers")
La Dame qui fuit Saint-Tropez, de Martine Cadière (Mols, "Autres sillons")
Les Prizzi, de Richard Condon (Le Cherche midi)
American Taste, de Gioacchino Criaco (Métailié, "Bibliothèque italienne")
Témoin de la nuit, de Kishwar Desai (L'Aube, "L'Aube noire")
La Ligne mystique, de Matthieu Dhennin (Imperiali Tartaro, "Oria")
Fétiches, de Mo Hayder (Presses de la Cité, "Sang d'encre")
Nous sommes un orage sous le crâne d'un sourd, de Chaïm Helka (La Manufacture de livres)
Le Sceptre et le venin, de Gérard Hubert-Richou (Pôle, "Roman")
Violation de domicile, de William Katz (Presses de la Cité, "Suspense psychologique")
Mon parrain de Brooklyn, de Hesh Kestin (Le Seuil, "Policiers")
Coup de balai sur les Champs-Élysées, de Bernard Laboureau (Auteurs d'aujourd'hui, "Roman policier")
Protocole 118, de Claire Le Luhern (La Tengo)
Le Mystère Fulcanelli, de Henri Lœvenbruck (Flammarion, "Thriller")
Comment tirer sa révérence, de Malcom Mackay (Liana Levi, "Policier")
8 ans à peine, de Ségolène de Margerie (Imperiali Tartaro, "Latiano")
Les Impliqués, de Zygmunt Miloszewski (Mirobole, "Horizins noirs")
La Tombe était vide, de P. J. Parrish (Calmann-Lévy, "Robert Pépin présente")
Thèse sur un homicide, de Diego Paskowski (La Dernière goutte, "Littérature générale")
Le Saut de Tibère, de Gilda Piersanti (Le Passage, "Ligne noire")
Mademoiselle solitude, de Bill Pronzini (Denoël, "Sueurs froides")
Défi à la mort, d'Olivier Séchan (Romart, "Polar")
Présages, de Stefán Máni (Gallimard, "Série noire")
Le Poil de la bâte, de Heinrich Steinfest (Carnets Nord : Montparnasse, "Roman noir")
The Main, de Trevanian (Gallmeister, "Noire")
Chapitre mortel, de Didier Waret (Main multiple, "Signé polar")
Dernier verre à Manhattan, de Don Winslow (Le Seuil, "Policiers")
Bien mal acquis, de Yrsa Sigurdadottir (Anne Carrière, "Thriller")
Fictions adulte poche :
Ton avant-dernier nom de guerre, de Raúl Argemi (Rivages, "Noir")
La Mort n'est pas un jeu d'enfant, de Jane Bradley (10-18, "Grands détectives")
Le Testament des Templiers : la dernière chance, de Glenn Cooper (Pocket, "Noir")
Dérive arctique, de Clive Cussler & Dirk Cussler (Le Livre de poche, "Thriller")
Sonate au clair de Loire, de Dominique D. (Làpart, "Clair de noir")
Les Aventures de Sherlock Holmes, de Arthur Conan Doyle (Archipoche, "La Bibliothèque du collectionneur")
Caché, de David Ellis (Pocket, "Thriller")
Le Cri de l'engoulevant, de Kjell Erickson (Babel, "Noir")
La Ronde des mensonges, d'Elizabeth George (Pocket, "Noir")
À vendre : trois chambres, un cadavre, de Charlaine Harris (J'ai lu, "Darklight")
Natural enemies, de Julius Horwitz (Folio, "Policier")
Le Bloc, de Jérôme Leroy (Folio, "Policier")
Un petit boulot, de Iain Levison (Liana Levi, "Piccolo")
Francy, le testament : femme, mère et reine de la mafia suédoise : saison 2, de Amanda Lind (Pocket)
Liquidations à la grecque, de Pétros Márkaris (Points, "Policiers")
Opération Arès, de Kyle Mills (Le Livre de poche, "Thriller")
L'Arbre des pendus, de Carol O'Connell (City, "Poche thriller")
La Trilogie Diogène, de Douglas Preston & Lincoln Child (J'ai lu, "Thriller")
Mon plus vieil ennemi, de Ruth Rendell (Le Livre de poche, "Policier")
Le Voyeur, d'Alain Robbe-Grillet (Minuit, "Double")
Ceux qui se cachent, de Carlene Thompson (Folio, "Policier")
L'Expert, de Trevanian (Gallmeister, "Totem")
Nous avons aimé, de Willy Uribe (Rivages, "Noir")
Je sais qui tu es, de Yrsa Sigurdadottir (Points, "Policier")
Fictions jeunesse :
Night school. 3, Rupture, de C. J. Daugherty (Robert Laffont, "R")
Hacking !, de Jeanne Desaubry (du Jasmin, "Jasmin noir")
Docteur Octopus (Hachette jeunesse-Disney, "Spiderman : Marvel stories")
La Menace, de John Grisham (XO, "Jeunesse")
Dans tes rêves, de Johan Heliot (Rageot, "Thriller")
L'Homme de sable (Hachette jeunesse-Disney, "Spiderman : Marvel stories")
L'Affaire Olympia : les secrets mathématiques de T. Folifou, de Mickaël Launay (Le Pommier)
Et à la fin il n'en restera qu'un, de Jean-Luc Luciani (Rageot, "Thriller")
Dans l'œil de lynx, de Laurent Queyssi (Rageot, "Thriller")
Sherlock Holmes et le chien des Baskerville : Playmobil, de Richard Unglik (Casterman)
Bandes dessinées :
Une aventure de Simon Hardy. 1, Mission ONU, de Frédéric Breemaud & Franck Leclerc (Clair de lune, "Petit Pierre et Ieiazel")
Les Pompier. 13, Feu de tout bois, de Christophe Cazenove (Bamboo, "Humour job")
Avengers: Endless Wartime, de Warren Ellis & Mike McKone (Panini comics, "Marvel graphic novels")
Maori. 1, La Voix humaine, de Caryl Férey & Giuseppe Camuncoli (Ankama)
Les Fugitifs, de Terry Moore & Humberto Ramos (Panini comics, "100 % Marvel ")
Ex machina. 1, de Brian K. Vaughan & Tony Harris (Urban comics, "Vertigo essentiels")
Les Ultrahéros. 2, de Walt Disney (Glénat, "Grandes sagas Disney")
Les Ombres, de Vincent Zabus & Hippolyte (Phébus, "Beaux livres)
Mangas :
Green blood. 2, de Masasumi Kakizaki (Ki-oon)
Raiponce, de Shiori Kanaki (Pika)
Cinéma, télévision & radio :
Clouzot critiqué, de Claude Gauteur (Séguier, "Les Carrés Séguier")
Columbo, la lutte des classes ce soir à la télé, de Lilian Mathieu (Textuel, "Petite encyclopédie critique")
En route avec Michael Cimino, de Jean-Baptiste Thoret (Flammarion, "Document")
Photographie :
Jack London, photographe, de Jeanne Campbell Reesman, Sara S. Hodson & Philip Adam (Phébus, "Beaux livres")
Littérature (théorie et études) :
Archéologie de la littérature policière, 1789-1839, de André-Marc Aymé (L'Harmattan, "Sang maudit")
Polars, philosophie et critique sociale, de Philippe Corcuff (Textuel, "Petite encyclopédie critique")
Mankell (par) Mankell : un portrait, de Henning Mankell & Kirsten Jacobsen (Le Seuil, "Biographies-Témoignages")
Polar : le grand panorama de la littérature noire, de Clémentine Thiebault & Mikaël Demets (La Martinière)
Criminologie & prisons :
Dernières nouvelles du crime, d'Alain Bauer (CNRS)
Carlton : le dossier X de DSK : prostitution, conspiration, écoutes téléphoniques, pratiques sexuelles, montages financiers..., de Martin Leprince & René Kojfer (Jacob Duvernet)
12 assassinats politiques qui ont changé l'histoire, de Jean-Pax Méfret (Pygmalion, "12 histoires")
Vue imprenable sur la folie du monde, de Denis Robert (Les Arènes)
Baltimore : une année au cœur du crime, de David Simon (Points, "Policiers")
Problèmes et service sociaux :
Juger, réprimer, accompagner : essai sur la morale de l'État, sous la direction de Didier Fassin (le Seuil)
Problèmes sociaux et sécurité publique :
Les Archives de la police scientifique française : des origines à nos jours, de Gérard Chauvet (Hors collection)
Enquêtes générales : immersion au cœur de la Brigade de répression du banditisme, de Raynal Pellicer & Titwane (La Martinière)
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De quoi réconcilier avec le genre humain
La célébrité, pour un écrivain, c'est quand on se met à écrire sur lui. Henning Mankell a bien sûr déjà franchi ce stade depuis longtemps. Mais voilà que nous avons droit à une sorte de mélange de biographie et d'autobiographie, sur la base d'une longue interview fractionnée mais aussi de divers autres témoignages et documents. La formule est bonne, car il est toujours intéressant d'entendre un écrivain parler de son travail, de ses espoirs et ses frustrations éventuelles, mais aussi de confronter cela à d'autres points de vue. Et cela commence très fort lorsque, dès la troisième page, on l'entend parler (puisque c'était lors d'une conférence dans une université indienne) d'un jeune Africain qui avait peint des chaussures sur ses pieds pour préserver sa dignité, et en conclure qu'il fallait "opposer une résistance aux forces du Mal et de l'oppression qui hantent encore le monde dans lequel nous vivons" (voilà qui place d'emblée une œuvre, fût-elle policière, sous le signe de la morale) et ajouter qu'écrire de la fiction, selon lui, c'est dire "comment les choses auraient pu se passer".
À partir de là, le livre se déploie sur une double piste : factuelle et artistique. La vie de Mankell telle quelle nous est retracée offre un parcours assez rectiligne, depuis sa naissance à Stockholm, la fuite de sa mère, la jeunesse à Sveg (sorte de "trou-du-cul" de la Suède ou de Laroche-Migennes du pays, désormais très fier de l'enfant du pays), l'engagement radical (maoïste) des années 1970 et la conviction vite acquise qu'il était destiné à la littérature et plus particulièrement au théâtre, où il fit très jeune ses premières armes. La rencontre avec l'éditeur Dan Israël l'orientera par la suite vers le roman, sans jamais le faire renoncer à ses premières amours qu'il cultive toujours assidument, on le sait sans doute, au Mozambique. Trois mariages (mais pas d'enterrement, jusque-là, sinon celui d'un père très regretté pour l'avoir élevé seul et lui avoir fourni tous ses repères), dont le dernier (pas seulement en date, s'est-il juré), avec la fille d'Ingmar Bergman soi-même. Puis la découverte de l'Afrique et l'existence bipolaire, la participation à l'expédition Ship to Gaza, le succès planétaire... Pas de quoi se plaindre, et il ne le fait pas, on peut au contraire s'étonner qu'une vie aussi "heureuse" ne l'ait pas rendu insensible au malheur d'autrui, comme c'est si souvent le cas. "Humble, redevable, content", voilà comment ce sage résume sa vie. Ajoutons qu'il finance un village d'enfants au Mozambique, la scolarité de certains autres par ailleurs, etc., et qu'il considère cela comme… un privilège ! Oui, on a bien lu (mais il faut dire qu'il a ou avait "énormément d'argent inemployé"). Circonstance aggravante, il tient à payer ses impôts... en Suède (c'est-à-dire qu'il y laisse plus de la moitié de ses revenus – et pas seulement soixante-quinze pour cent sur la tranche supérieure à un million, si vous voyez ce que je veux dire ; mais là j'entends Depardieu crier "Au fou !" depuis le fond de l'Asie centrale où il fait si bon vivre dans la "démocratie").
Mais le plus intéressant dans ce livre est l'autre versant, sa biographie intellectuelle et artistique. Elle est placée sous le signe de la créativité, bien entendu, mais aussi d'un humanisme rigoureux. Car il est très préoccupé par la faillite de plus en plus évidente du système judiciaire de son pays et de l'Occident en général (son père était juge). Or il est d'avis (contrairement à bien de nos bonnes âmes) que c'est... un crime de ne pas punir un crime et que cela revient à ouvrir la porte au fascisme par désamour de la démocratie. Le premier de ces crimes étant selon lui le racisme. Il aborde aussi, au passage, la question du libre arbitre, l'art d'écrire ("un artisanat rationnel"), le désir de contribuer à rendre le monde un peu moins moche qu'il n'est, la mort (qu'il ne craint pas, mais bien la déchéance, comme tant d'entre nous), l'importance de la culture. Il se réjouit que sa familiarité avec l'Afrique lui ait permis d'acquérir une "double perspective" (argument massue à asséner à tous les racistes, mais qui leur est bien sûr inintelligible). Il s'inquiète de voir la Chine prendre, et avec quel brio, le relai du colonialisme occidental, de voir la cupidité régir le monde et l'éducation (intellectuelle, civile et morale) s'y affaiblir sans cesse. Il a d'ailleurs souvent eu l'occasion de constater à ses dépens les inconvénients de la célébrité (sollicitations perpétuelles et même usurpation crapuleuse d'identité – sur Facebook c'est un jeu d'enfant). Il plaide pour le partage solidaire (en fonction des besoins) et non pas "juste" (autant à chacun), et pour la passion, car "on ne peut pas vivre sans", quelle qu'elle soit. Et aussi pour le théâtre, art collectif – on l'oublie trop souvent – qui est la plus puissante de toutes les formes littéraires car capable de parler même aux analphabètes, encore qu'il puisse être "très mort" si l'on n'a "rien vécu" en sortant de la salle. En revanche, il prend ses distances par rapport à cette notion de "bonheur", si galvaudée et commercialisée, à laquelle il oppose la joie. Il pense que c'est l'homme qui a créé Dieu et non l'inverse – voilà qui va aggraver son cas aux yeux des fanatiques qu'il combat.
On pourrait continuer longtemps ainsi, pour bien rendre compte d'un livre aussi riche. Mais mieux vaut souligner pour finir qu'il n'y a rien de dogmatique dans tout cela. Mankell est un homme modeste mais surtout sensé et réaliste qui prend la littérature au sérieux, mais pas lui-même (bonne formule dont beaucoup de nos écrivaillons feraient bien de prendre de la graine, au lieu de l'inverse). Mon seul point de désaccord porte sur les films que Kenneth Branagh a tirés de ses livres : il les trouve "géniaux", alors que je les trouve très mauvais, car une demi-heure de Branagh au volant de sa voiture, ça ne fait pas un film. Il admet d'ailleurs que "l'accent est mis" sur l'acteur – euh, oui, c'est peu dire. Mais il donne aussi un coup de chapeau aux traducteurs qui font "un travail fantastique". C'est bon de l'entendre de sa bouche.
Au terme de ce livre, on n'aura peut-être pas appris "comment écrire un best-seller en dix leçons" mais on aura au moins pris une belle leçon de dignité et d'humanité, tout simplement. Humain, très humain (et non pas trop, comme on dit hélas bien souvent).
Citation
La créativité est la pierre angulaire de ma vie. Une activité sensuelle depuis le début.