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Série criminelle (1)
© David Delaporte / k-libre
05 décembre 2012 -
Dire plus, ne ferait jamais tant l'affaire. Les écrits les plus scabreux à présenter sont sans conteste ceux dont on a le plus grand bien à dire. Et certains romans noirs vous retournent si bien la chair et les sangs que l'exercice tournerait à la pornographie légiste la plus sanguinolente. "Chefs-d’œuvre", "sublime", "génialité", sont les accessoires sado-maso-chirurgicaux de ce genre d'exercice d'admiration. Il convient parfois de taire sa joie. Et il y a prudence élémentaire à économiser superlatifs, éloges excessifs, pastiches fastoches ou autres billevesées déclamatoires. Que dire, par exemple, du Jésus-la-Caille de Francis Carco, quand on a déjà dit trop de bien de son Homme traqué ? Comment rendre l'ambiguïté sexuelle de ses troisièmes personnes du singulier. Combien l'ater ego majeur de Carco, Jésus-la-Caille, est courageuse et fidèle et combien, dans le même corps, il est veule et soumis à la douceur de son propre braquemart. Comment Carco, en décrivant l'éveil tout bête de ce "doux Jésus", serineur rentré, belle tante proxénète, sur l'aisselle de la morue qui l'entretient, décrit l'humanité tout entière en germination, pestilentielle et crâne, dans les égouts civilisés du Montmartre des années 1920, parmi les "affranchis et les truqueurs" ? Non, autant reprendre à son propre compte les mots extraits du Journal de Julien Green, mots qu'ils se destinaient en avant-première à lui-même, et reproduits post-mortem en quatrième de couvrante : "Relu Jésus-la-Caille qui m'a paru excellent d'un bout à l'autre. On y chercherait en vain une faute, une vulgarité. Ce sujet extraordinairement scabreux est traité sans fausse pudeur." Dire plus, de toutes les façons, ne ferait jamais tant l'affaire.
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Liens : Francis Carco | L'Homme traqué
Par Stéphane Prat