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Série criminelle (24)
© David Delaporte / k-libre
30 juin 2013 -
Grisbi or not Grisbi. En entamant la trilogie du Grisbi1 d'Albert Simonin, on ressent instantanément un terrible déficit en argot tête de veau d'avant drôle de guerre. On regrette assez vite l'absence d'un glossaire. Un Littré d'affranchis ne serait pas du grand luxe. On entrave pourtant parfaitement les ambitions caves de Max-le-Menteur, l'acrobate principal de la trilogie, qui passé cinquante longes brique toujours les enjoliveurs, ce qui est pure folie. On saisit parfaitement la mélancolie de ses cavales, mais on la percute à retardement, ou carrément de travers. Les contre-sens argotiques de Simonin sont plein de promesses et de menues aventures qu'il serait très suspect de se refuser. Ses mots-images persillent le déroulé d'ensemble comme un long métrage ultra-rapide dont les répliques auraient été coupées et mélangées au montage, fleuries au pifomètre. Un coup de châsses rapide sur le pedigree de l'auteur confirme cette première impression de cut-up malicieux. Car Simonin a beaucoup scénarisé, et pas uniquement pour l'adaptation cinoque de ses propres racontars, notamment en collaboration avec Audiard Père. Wiki, le pipelet du Oueb, dénonce anonyme les années de prison épuratrice de ce Chateaubriand affranchi, et nous flatte le flaire en précisant que ce non-repenti a commis le dico voyou que nous appelions de nos vœux. Le Petit Simonin... qu'il a baptisé en toute simplicité son vidocquart exemplaire, illustré par Paul Grimault et préfacé par Cocteau en 1957. À notre époque de circulation cybervicelarde, il ne doit pas être si sorcier de se le procurer. On songe assez naturellement à remiser les Grisbi du poète, le temps de se procurer son missel voyou. Mais il est déjà trop tard. La sauce de l'intrigue à peine montée, les premiers pirates tout juste radinés dans le bac à légumes du médecin légiste, on s'est déjà habitué au langage de Simonin comme à l'obscurité sans centre d'une conscience. On s'y déplace sans devoir plisser les châsses, on ose même quelques corrections, en lousdé, quand le poète use d'un vocabulaire cave, à un moment particulièrement propice à la métaphore pimentée. Et finalement, ce sera par pure gourmandise - le péché favori des affranchis, incapables d'envisager le moindre mauvais coup sans partager des rouilles grand cru, savamment choisies pour transformer en lucidité l'ivresse d'une fine et rustique tambouille – ce sera par une semblable gourmandise qu'on commandera sous le manteau Le Petit Simonin, qui doit bien être ce que doit être un dictionnaire digne de ce nom : une mine d'histoires, de chutes, de renaissances. Et ce ne sera cette fois pas pour des nèfles que le postier se sera fait croquer le fléchisseur antérieur par le griffon hiéracocéphale d'un chroniqueur aux abois.
1. Touchez pas au grisbi. Le Cave se rebiffe. Grisbi or not grisbi. Albert Simonin. Rééd. 2012. La Manufacture des livres
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Liens : Albert Simonin | Le Hotu : chronique de la vie d'un demi-sel
Par Stéphane Prat