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Inédit
Tout public
Traduit du polonais par Grazyna Erhard
Paris : Christian Bourgois, mars 2009
350 p. ; 20 x 12 cm
ISBN 978-2-267-02026-7
En Europe, c'est-à-dire nulle part
Varsovie, dans les années 1990. Les jours de neige, ce goût âcre de la fumée du charbon qui rappelle Berlin et vous remet les pieds sur terre. L'ex-Est, avec ses blocs d'habitation immolant un ciel maussade. À six heures moins cinq, Paweł décampe de son appartement ravagé par les sbires du parrain varsovien. Il a trois jours pour lui régler sa dette. Il fonce tout d'abord chez Bolek, un nouveau riche, truand qu'on imagine en survêtement, chaînette en or massif autour du cou, gourmette d'aussi mauvais goût. Il veut lui emprunter le pognon qu'il doit, mais il va l'avoir à ses trousses.
Varsovie. Une ville aux aguets, pleine de cris retenus, exténuée déjà. Entre l'Allemagne et la Russie, ses tramways incessants rythmant la course éperdue du narrateur. Paweł cherche du fric dans cette ville acquise au libre marché mais n'en trouve pas. Alors il se laisse porter par des rencontres de hasard, pèlerin d'une Pologne non écrite encore, ré-écrivant superbement Le Livre de la nation polonaise de Mickiewicz (intitulé aussi Le Livre du Pèlerin Polonais), pour n'en laisser entendre que le rire de ferraille tordue des tramways varsoviens, peut-être la seule continuité historique de la Pologne des années 1920 à celle d'aujourd'hui.
Varsovie. Le business devait sauver le monde. Des affaires, tout le monde voulait en faire. Tout un pays converti au salut libéral. Mais la réalité têtue : blocs de béton égarés dans le brouillard. "En Pologne, c'est-à-dire nulle part", riait (jaune) Alfred Jarry. Plus que jamais le grand nulle part dans ce rêve de Paweł. Marchés aux relents de chou, marchés de la misère, tout un monde enthousiaste et inquiet, trompé par l'Europe qui ne vient pas mais s'annonce à grand frais. D'abord dans la libération d'une ahurissante violence. Ensuite dans la déculturisation de cette Pologne débarquée de toutes ses traditions dirait-on, en pleine mutation, certes, mais comateuse.
Le tout écrit dans un style éblouissant, parfois virtuose – on songe aux énumérations à la Perec (Tentative d'épuisement d'un lieu parisien)-, parfois asphyxiant. C'est alors toute l'atmosphère du Sartre de La Nausée qui vient sourdre dans des pages ouvrant à une phénoménologie de la poisse, du glauque varsovien, avec pour horizon la campagne polonaise des années 1990 et ses routes non carrossées, la boue et les chevaux de trait pour moyen de locomotion.
Une œuvre romanesque contemporaine dressant sans complaisance le portrait d'une génération désenchantée. Un roman encombré d'une foule de personnages, intermittents d'une vie usurpée, envahissant sans vergogne le récit, proliférant pour lui faire obstacle et n'en laisser voir que le portrait d'une ville assommée. Pavane pour une Europe défunte, l'ancienne Europe martyrisée convoquée ici sans son Histoire, tout juste les restes d'un Empire dont nous ne savons plus rien et des enfants abrutis, errant d'un ennui l'autre.
Citation
Je devrais entrer là-bas et demander qu'on me recouse dans un ventre.