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Grand format
Inédit
Tout public
208 p. ; 21 x 14 cm
ISBN 979-10-90175-94-5
Coll. "Littérature"
Actualités
- 18/11 Prix littéraire: Prix Renaudot des lycéens 2022
Le mardi 15 novembre 2022, à Loudun dans la Vienne – ville natale de Théophraste Renaudot (1586-1653) – a été décerné le 31e prix Renaudot des lycéens. Près de quatre cents lycéens des académies de Poitiers, Limoges, Bordeaux, Nantes, et Orléans-Tours, scolarisés dans quelque quinze établissements, ont lu les six romans en lice afin de choisir leur préféré.
Deux représentants de ce vaste jury présidé par Camille Taulelle ont retrouvé cette dernière ainsi que Solange Rauch, vice-présidente, au lycée Marc-Godrie afin de débattre autour des ouvrages sélectionnés et, à l'issue de la rencontre, c'est le roman de Sandrine Collette On était des loups (Jean-Claude Lattès) qui a été proclamé lauréat.
Les cinq autres romans de la sélection :
Partie italienne d'Antoine Choplin (Buchet-Chastel)
Le dernier des siens de Sybille Grimbert (Anne Carrière)
Les Sacrifiés de Sylvie Le Bihan (Denoël)
La Printanière de Michel Quint (Serge Safran)
Taormine d'Yves Ravey (Minuit).
Liens : On était des loups |Michel Quint
Passés croisés
Étienne Vancauvenberghe est un "pédagogue irrégulier" – un prof démissionnaire de l'Éducation nationale à force d'avoir eu l'impression, faisant cours, d'être "guide dans des séjours exotiques latin-grec-français all inclusive [et de] négocier des excursions en ablatif absolu, en aoriste deux", qui vit désormais de cours particuliers. Et de quelques piges critiques, histoire d'améliorer l'ordinaire. Vit seul à Lille, dans un appartement hérité de feu son père – encombré de livres et de souvenirs, de regrets plus ou moins amers, de ses réticences, aussi, à s'engager dans la moindre relation sentimentale. Une petite vie de train-train bouleversée par un samedi de mai, morne au ciel et chaotique dans les rues comme à peu près partout en France pendant cette période de hautes turbulences où les contestations menées aux ronds-points par les Gilets jaunes se trouvaient plus souvent qu'à leur tour court-circuitées par les destructions des black blocs.
L'un d'eux est en train de casser un abribus sous les yeux d'Étienne qui essaie de rentrer chez lui après un cours. Une toute jeune fille qu'il avait entrevue dans le métro l'arrête dans sa rage – le hèle sans ménagement, le déstabilise. Une "souriante muse des transports" qui fait entendre sa "voix de printemps" et disparaît aussitôt dans la cohue. Pour réapparaître un peu plus tard et cette fois ne plus se contenter d'invectiver un casseur qui menace – elle le boxe dans les règles du noble art et le met K.-O. Puis, comme la première fois, s'évanouit dans le désordre du reflux émeutier poussé par les CRS. Les dés sont jetés : Étienne n'aura plus de cesse que de la retrouver.
Vu la manière dont elle a joué des poings, et dansé autour de sa cible, elle est une boxeuse aguerrie. Voire une pro, peut-être une championne. Alors la piste s'entrouvre d'elle-même : les clubs de boxe de Lille et des environs. Et la quête commence de la Printanière, sans autre indice, d'abord, que le souvenir d'une gestuelle inoubliable et d'une ressemblance avec Greta Garbo. Bien maigre... Pourtant les recherches avancent, au gré de rencontres fortuites ou provoquées, et le narrateur de renouer un à un les fils menant à sa Printanière, entretissés des siens qu'il raboute à force d'incursions dans son propre passé, marqué au sceau d'une enfance sans mère aux côtés d'un père fantasque et viveur...
À peine commencé, le texte fascine par une écriture que l'on sent tout de suite singulière, et l'on se dit qu'on entame là un de ces romans dont on savoure le style au point d'en oublier presque le récit. Cette sensation dure : ces phrases souvent elliptiques, la ponctuation qui joue les filles de l'air et ces métaphores, ces images... C'est un charme proche de l'hypnose, comme seule la poésie peut en générer, qui opère et tient sous sa coupe. Sans compter le bain livresque/scriptural permanent, à tous les sels si j'ose dire, ô combien jubilatoire : des livres partout dans les logis, un narrateur prof de lettres et admirateur de Modiano, un club de lecture et le blog qui va avec, un personnage à peine mentionné qui est "cadre dans la distribution de l'édition" et le père d'Étienne qui fut journaliste sportif, d'innombrables allusions littéraires et, ici et là piquées comme de petits décors en sucre sur une pâtisserie, des commentaires linguistiques (normal, Étienne-qui-raconte est prof). Mais insensiblement on s'accroche à l'histoire, à cette enquête dans laquelle se lance le narrateur et dont on guette le moindre progrès, au sort des personnages aussi comme on serait concerné par celui de parents ou d'amis proches tant l'auteur a su, à travers son narrateur, les rendre émouvants. Viennent même des moments où l'on est près de tourner une page ou deux en oubliant que les mots sont goûteux parce que soudain "ce qui se passe" devient plus important que la façon dont c'est écrit (mais l'on revient vite sur ses pa(ge)s pour lire en profondeur). Quel tour de force que d'allier ainsi un usage aussi singulier d'une langue simple mais subtilement menée hors des clous pour prendre saveur, une histoire prenante et des personnages capables de susciter autant d'empathie !
Tandis que s'écrit le récit d'une quête progressant à petites trouvailles, longues errances et rencontres majeures c'est, fondamentalement, un roman des déchirements majuscules qui s'offre à la lecture où les chaos intérieurs des personnages font écho à celui que sèment, dans les rues, les colères en tout genre, en jaune et en noir, portées à leur paroxysme par un contexte social des plus corrosifs. Le bruit est donc aux orages dans cette histoire où se croisent tant de vies brisées, fissurées, abîmées parfois depuis leurs fondations mais la construction reste aérienne et l'écriture, exempte de grandiloquence, se tient tout en pudeur, laissant affleurer de petites touches d'humour.
"J'ouvre et me laisse emporter, dévorer cru, peut-être plus que d'habitude, par les mots, l'univers d'ombres réelles qu'ils font se lever" écrit Étienne tandis qu'il se plonge dans le livre qu'Eduardo Arroyo a consacré à un boxeur panaméen, Panama Al Brown. Exactement ce qui attend le lecteur qui ouvrira La Printanière.
Citation
J'habite un passé d'emprunt. Un décor usé de trop de représentations. Et je m'en fous. Tant qu'il tient debout, moi aussi. Pas la peine que j'en fasse un feuilleton.