Easton Newburn est un détective privé à New York d'un genre bien particulier. Froid, impassible, infaillible (ou presque), c'est un ancien flic du NYPD qui a vu la corruption gangrener les forces de l'ordre. Jusque-là rien d'original. Sauf qu'à partir de ce moment, il a quitté son poste et est donc devenu détective privé pour la pègre. Il travaille pour toutes les familles importantes de la Grosse Pomme. Il résout leurs embrouilles, traque ceux qui leur pourrissent la vie. Et le moins que l'on puisse dire c'est qu'il a du boulot. La ville est partagée entre les Russes, les Japonais, les Italiens, les Juifs et les Irlandais (du moins côté flics pour ces derniers). Chaque famille tient au statu quo. Chaque famille veut mener son petit business en toute tranquillité, c'est-à-dire que la presse et la police ne doivent pas s'en mêler. Et pour ne pas s'en mêler, le mieux c'est d'éviter tout ce qui pourrait conduire à une vendetta, et il faut une personne impliquée, objective, indépendante à qui tout le monde fait confiance. Alors Easton Newburn monnaie ses services pour résoudre aussi bien le petit larcin que le gros coup foireux. Mais il sait aussi que sa vie ne tient à un fil. S'il est un élément intouchable dans la ville, chaque famille ayant besoin de lui pour respecter un certain équilibre, dès qu'il ne sera plus nécessaire, il sera mort.
Dans Ils savent qui je suis, premier volet de la série imaginée par Chip Darsky (scénario) et Jacob Phillips (scénario), le comics prend une tonalité très sombre. Il y a du personnage de Parker, adapté par Darwynne Cook, dans cet Easton Newburn, qui se trimballe avec son aire désabusé, son facies anguleux et ses pognes dans son manteau. Il se trimballe ici au gré de ses aventures, personnage isolé brinquebalé entre les familles et Casey, son ancienne coéquipière. Son ancien métier lui offre quelques passe-droits dont il abuse. Et puis il y a Emily dont on suit le journal et que l'on rencontre très vite. Personne vive et intelligente, assez indépendante et sauvage, Emily va devenir l'assistante de Newburn. Sa nouvelle coéquipière parce qu'il a de l'estime pour elle, qu'il la croise à un moment où tout pourrait basculer, et qu'elle a des aptitudes qui lui plaisent.
Au fil des pages, le passé de Newton et celui d'Emily se dévoilent. On est surpris de leurs trajectoires qui ont des similitudes. Chip Darsky et Jacob Phillips font le choix de multiplier les enquêtes (trafic, trahison, meurtre, infiltration carcérale, addiction au jeu, luttes de pouvoir, amant dans le placard…) dans ce récit inaugural déstructuré qui plante un décor âpre et violent, et qui présente tous les protagonistes. Au scénario froid, implacable et minimaliste de Darsky répond un trait anguleux avec des teintes vives qui viennent éclater dans des paysages urbains sombres de Phillips. Un comics tout en rythme, énergie et sens de l'(in)action, qui mêle déjà le personnel à des aventures, qui prend le risque de trop vite tarir sa source mais qui dans la veine du néo-noir s'annonce terrible et offre un couple d'enquêteurs déjà intéressant et contrasté.