« Je suis une enfant qui tue les gens » annonce d’emblée la petite fille grimée en fée qui habite un immeuble sordide d’une ville sordide (sauf pour l’immeuble d’en face, celui des riches à qui elle fait des « doigts de l’honneur »). La petite fille ne sait pas lire et ne supporte pas les gens qui habitent son immeuble insalubre (on lui promet une destruction rapide) à commencer par son grand frère et ses parents. Le premier mort ce sera justement le grand frère tombé dans la cage de l’ascenseur. Un accident bête qui va être suivi de beaucoup d’autres accidents bêtes. Faut dire que la faune de l’immeuble a de quoi faire frissonner : les Dumesnil, racistes patentés, qui se trimballent avec un chien sanguinaire ; monsieur Courtemanche, le pervers qui traîne dans les sous-sols ; deux vieux ridés au rez-de-chaussée qui appellent sans arrêt les flics et observent méchamment les habitants… La jeune fille passe inaperçue au milieu de tous ces gens et finit par les tuer ou les faire tuer les uns après les autres. Par exemple, elle rêve d’un chevalier, mais elle empoisonnera Grégory, son amoureux qu’elle n’aime pas parce qu’il est bête et pas beau. Surtout, elle va trouver chez Pierre, celui qui jardine, un dragon. De cette rencontre va naître une amitié qui n’interrompra pas sa folie meurtrière mais qui lui apportera ce qu’elle n’a jamais trouvé chez ses parents.

Prolongement de Un léger bruit dans le moteur (d’après un roman de Jean-Luc Luciani, qui se passait à la campagne), Un léger bruit sous le palais est un véritable conte de fée : cru, absolument pas naïf, sanguinaire et avec une morale (et qui se passe, cette fois-ci, en ville). Jonathan Munoz, qui illustre les deux premières pages, passe le relai à Étienne Friess avec délicatesse. Leurs deux univers graphiques se mélangent pour dérouler l’intrigue noire à souhait de Gaet’s. On suit ainsi les péripéties machiavéliques de cette fée rose (elle a de jolies ailes dans son dos) qui ne rate pas une occasion de tuer son prochain et à qui tout le monde laisse une entière latitude. Et puis, grâce à son phrasé de petite enfant, on entre dans sa tête, à la fois témoins et acteurs. Le scénariste de R.I.P. s’offre même un petit hommage à sa brillante série au moment de faire sortir quelques cadavres au sens propre comme au sens figuré de cet immeuble. Une histoire sombre et froide, et paradoxalement réjouissante.