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Numéro collection : 0
Année de parution : 2015
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8 / 10

Le Scandale Clouzot

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Mort de l'enfer

S'émanciper des films pour s'intéresser au personnage trouble d'Henri-Georges Clouzot, tel semble être le but de ce documentaire de soixante minutes qui traverse la vie du réalisateur en s'accompagnant de témoignages, d'images d'archives et d'images de ses films. Mais ce qui est le plus troublant c'est assurément l'empreinte et le modernisme laissés par un homme angoissé par ses propres démons parmi lesquels la séparation de ses parents. Clouzot, c'est à la fois le mystère, la jalousie et le vice portés à l'écran. C'est celui qui donne les premiers rôles aux névroses humaines et qui les amène tout en haut de l'affiche avec un spectacle palpitant universel. Né à Niort en 1907, Henri-Georges Clouzot est un manipulateur de première, et réalise ses premières gammes sur son propre frère. Plus tard, il terrorisera certaines des personnes qui tourneront avec lui car ce qui l'intéresse avant tout c'est la perte du contrôle. (Brigitte Bardot dans La Vérité en est une des incarnations.) Ses premiers films sont des triomphes, et l'on ne s'en étonne pas en découvrant les premiers titres de sa filmographie : L'Assassin habite au 21, Le Corbeau, Quai des Orfèvres. Plus tard viendront Le Salaire de la peur, Les Diaboliques et aussi La Vérité. Marié trois fois, on ne peut s'empêcher de penser qu'il sera responsable de la mort de sa deuxième femme, la Brésilienne Vera Clouzot. Impudiquement, il la portera à l'écran tout en la tourmentant, elle qu'il sait cardiaque, et en se tourmentant lui-même. Si elle n'est pas explicitement nommée dans le documentaire, il y a de la perversion narcissique chez celui qui ne voyait pas le sadisme sans son alter ego narcissique. Son journal, qu'il reprend périodiquement est là pour le démontrer. Car ce qui est le plus surprenant lorsque l'on entend la lecture de certains passages c'est bien qu'il est très bien écrit, voire surécrit, comme si le réalisateur l'écrivait pour d'autres et pour montrer les replis tortueux de son esprit torturé. Mais il y a aussi de la fascination chez Clouzot. Et elle n'est pas sans être assortie à la reconnaissance de son génie, de son talent, de son anticonformisme et de sa modernité. Quai des Orfèvres, c'est le réalisme à l'américaine. Si le film est comparé au travail sociétal de Dickens, il se rapproche plus des romans noirs de Simenon. Et Clouzot colle à l'actualité d'autant plus qu'il aime dénoncer l'ambivalence de la morale individuelle. Le Corbeau en est l'exemple-type. Film en son temps honni de toutes parts qui lui vaudra des coups eux aussi de toutes parts pendant la Seconde Guerre mondiale mais aussi après la Libération puisque le film sera interdit deux ans, ce qui est aujourd'hui incompréhensible. Mais Clouzot est un mystère et le fait qu'il a assis son succès pendant la guerre ne plaide pas pour la mansuétude des Français dont il est l'un des plus fidèles pourfendeurs. Si l'on en croit Pierre Assouline, c'est un pessimisme fécond, pourtant il sera plus tard dit qu'il a besoin des autres pour alimenter une imagination tarie. Ce qui est sûr c'est bien son refus du confort moral. Ses films et la façon dont il les a tournés abondent en ce sens. Travail de six mois dans les locaux du 36 pour Quai des Orfèvres, scènes filmées exclusivement en extérieur malgré les aléas climatiques pour Le Salaire de la peur. Traits de génie pour ce même dernier film réalisé sans musique mais où les bruitages techniques prennent le dessus et participent à la grande tension. Et puis c'est un homme de devises pour qui tous les hommes sont égaux car tous potentiellement coupables. Sans compter un homme terrible comme quand il assène à l'une de ses collaboratrices amoureuse de lui : « Vous êtes heureuse donc vous ne m'intéressez pas. » Reste la mort de Vera Clouzot, celle qui exprimait pour lui un profond désir de soumission, et de ses derniers écrits, et la lente déchéance d'Henri-Georges Clouzot dont le travail d'écriture sur la fin s'apparente au mythe de Sysiphe. Et c'est bien là que l'on touche avec Clouzot au sublime : le blasphémateur est devenu mythique (aujourd'hui, s'il était encore en vie, il serait surement l'ennemi presque numéro un du mouvement « Mee too »…). Clouzot s'est éteint en 1977 en laissant sans nul doute son meilleur film inachevé : L'Enfer. Et chez Clouzot, l'Enfer c'était lui et non les autres en tout bon personnage dostoïevskien qu'il était.

Le Scandale Clouzot (60 min.) : réalisé par Pierre-Henri Gibert.
Bonus. Masterclass Clouzot au Festival Lumières 2017 par Pierre-Henri Gibert (59 min.)

Article initialement paru le 3 septembre 2018
Publié le 27 mai 2025
Mis à jour le 27 mai 2025
Vous êtes heureuse donc vous ne m'intéressez pas.