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L'insoutenable légèreté du crime
Jean Hennegé vient d'écrire Merci pour les fruits de mer, un thriller efficace à l'américaine où il mélange les poncifs du genre pour mieux se les approprier et les transformer. Ses protagonistes sont un tueur en série, sauvage et particulièrement tordu, qui commet des crimes ignobles dans le seul but d'assouvir ses bas instincts ; et un policier intègre, mal vu par sa hiérarchie, qui le pourchasse à travers une course haletante. Policier qui tombe évidemment amoureux d'une victime potentielle du tueur, et qui à la fin se marie avec elle pour mieux avoir beaucoup d'enfants. Mais le policier, habituellement un homme, est là une femme. Le tueur en série s'arrête, lui, au premier meurtre car son but est autre - d'ailleurs en fait il ne voulait même pas tuer...
Au départ de l'intrigue de ce roman, Ivy, journaliste dilettante vivotant, s'occupe en célibataire dans sa chambre mansardée. Mais par son velux, son chat va lui apporter un par un les doigts d'un cadavre. Il se heurte à l'administration policière qui a du mal à comprendre ce qui se cache derrière cette farce macabre. C'est avant tout pour le lecteur l'occasion de regarder l'idylle naissante entre le plumitif et son inspectrice. Le texte emprunte à la vie. Il digresse, s'attarde sur des événements qui ne servent à rien dans le sens de l'intrigue - parfois même les escamote ce qui enlève toute compréhension aux motivations du genre -, blesse ou tue les personnages sympathiques, effectue des sauts temporels, crée une tension poétique de bonne facture et retombe sur ses pattes comme le chat du roman.
La légèreté qui fait passer les éléments les plus scabreux du crime provoque chez le lecteur le sentiment d'être sur le même nuage que les amoureux du récit jusqu'à un dénouement qui renoue avec la dureté de notre réalité, car un meurtre, ce n'est pas juste un corps qui tombe avec un tueur aux volontés esthétisantes, c'est un caillou sombrant dans l'eau qui par cercles, après le coupable et la victime, va toucher les familles, les policiers : la société tout entière. Un roman policier, c'est un texte où l'auteur nous guide, en nous trompant, en masquant la vérité des indices qu'il dévoile, jusqu'à la solution. Jean Hennegé, lui, choisit pour obtenir le même résultat de cacher la noirceur de la vie derrière le caractère primesautier et quotidien de personnages où un homme lunaire se concilie avec une femme terre à terre pour explorer une piste singulière du roman policier.
On en parle : La Tête en noir n°150
Citation
Les nains de jardin se caillent la brouette et Blanche-Neige doit regretter d'avoir choisi de porter pour l'éternité des manche à crevés et des escarpins vernis.