Contenu
Poche
Réédition
Tout public
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Éric Chédaille
Paris : Phébus, mai 2012
176 p. ; 19 x 12 cm
ISBN 978-2-7529-0660-1
Coll. "Libretto", 383
Call me Shane
L'Homme des vallées perdues est considéré par beaucoup comme le meilleur des romans de western. Bien souvent, lorsque l'on parle de "meilleur des", on s'aperçoit que la genèse est fantastique ou au moins atypique. Celle de ce roman l'est assurément. C'est le premier récit de Jack Schaefer. Si lors de sa parution il n'a pas eu le succès mérité, son adaptation cinématographique quatre ans plus tard l'a remis sur le devant de la scène, et le lectorat a pu ainsi constater à quel point cette intrigue basée sur une violence inhérente et longtemps refoulée est parfaitement construite.
Car, et il faut le constater, tous les arguments sont présents pour en faire un très bon ouvrage, pas seulement du genre. Son héros, Shane, apparait de façon messianique au début sur son cheval fourbu, les vêtements sales et élimés, le colt rangé dans son bagage, le verbe taiseux et le regard froid. Le narrateur principal est un jeune garçon émerveillé, plein d'idées aventureuses et qui a un regard naïf sur les événements qui vont se succéder. Enfin, Jack Schaefer prend le temps d'écrire et d'étayer des scènes qui enrichissent son histoire. Les quarante premières pages se focalisent sur la destruction d'une souche, obstacle naturel à l'avancée humaine dans ce Far West où l'on a l'habitude de constater que la loi est du côté du plus fort.
L'Homme des vallées perdues est un western annonciateur du western crépusculaire. Dans ce roman, il est principalement question de la fin du Cattle Kingdom, comme le souligne justement Michel Le Bris dans sa précieuse préface (où il établit une relation entre ce roman et Moby Dick, de Melville, qui n'est pas sans fondement). Le Cattle Kingdom, sujet de nombreux films de westerns comme Crépuscule sanglant, c'est l'appropriation des pâturages aux vaches des ranches. C'est le refus de barbelés sur la prairie. C'est voir l'arrivée de colons d'un très mauvais œil. Le cow boy à son origine, ne l'oublions pas, est celui qui escorte les troupeaux d'un point de la prairie à un autre. Le marquage au fer des bêtes est à la fois un moyen de les compter, de quantifier sa richesse et d'éviter les vols. Mais ce n'est pas une solution fiable. Le cow boy s'arme donc d'un colt puis d'une winchester. Il finira par être celui chargé de faire peur à ces étrangers d'agriculteurs même s'ils ont la loi derrière eux (loin derrière eux).
Dans L'Homme des vallées perdues, un de ces colons s'oppose pacifiquement à un ranchero. Il est marié et a un enfant, le narrateur. Il a la chance de voir arriver Shane. On devine très vite que c'est un tueur en plein questionnement, une âme en perdition qui a besoin de trouver le but qui lui donnera une autre estime de lui. Un être violent qui refoule sa violence au plus profond de lui-même et qui pour cela range au plus profond de son sac un colt parfaitement huilé au viseur limé. Sa rencontre avec cette famille de migrants qui se sédentarise va être sa rédemption. En nait une amitié basée sur le respect de l'autre. Aucune question. Juste un dur labeur en échange d'un gite.
La famille est en butte aux exactions de Fletcher qui n'a de cesse de multiplier les provocations et les bagarres. Shane bouleverse ses plans alors il s'absente pour revenir avec à ses côtés un tueur de la pire espèce. On comprend que Shane va n'avoir d'autre solution que de l'affronter avant de repartir. C'est évidemment ce qui va arriver mais dépeint avec force, décrit avec une écriture fine et sensible où l'humanité est là, profonde et sublime. Une histoire d'hommes, assurément, où la place de la femme est tenue par une Marian magistrale. Shane aura beaucoup modifié le paysage, il aura en plus bouleversé les sentiments. Il aura marqué les hommes. Un vrai cow boy messianique.
Citation
Ce client-là, c'est un peu comme une mèche lente : ça fait pas de bruit, ça grésille pas ; pour un peu, on en oublierait presque que c'est allumé. Et puis quand ça arrive à la poudre et que ça pète, ça vous fout un bordel de tous les diables.