Contenu
Poche
Réédition
Tout public
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Franck Reichert
Paris : Rivages, mai 2018
256 p. ; 17 x 11 cm
ISBN 978-2-7436-4424-6
Coll. "Noir", 126
Ascension et chute d'un caïd
Scarface, écrit en 1930 par Maurice Coons sous le nom de plume d'Armitage Trail, relate la rapide ascension et la tout aussi rapide chute du caïd de la pègre de Chicago Tony Camonte. Véritable récit de gangsters, le roman est aussi un témoignage contemporain de première puisque si le personnage de Scarface n'est pas à proprement parler celui d'Al Capone, il s'en inspire très librement, et surtout le roman est écrit du vivant du célèbre gangster américain, qui s'émeuvra de l'image qu'il pourrait donner de lui à Hollywood lors de son adaptation par Howard Hawks avec Paul Muni en big boss balafré. Mais Scarface, c'est aussi un roman de légende, l'un des deux écrits par Armitage Trail, qui allait décéder à vingt-huit ans dans une salle de cinéma du Paramount Theatre d'une crise cardiaque l'année de sa publication. Il faut dire que l'écrivain valait son pesant de kilogrammes, puisqu'il affichait à l'heure de sa mort quelques cent cinquante-huis kilos.
Le récit s'articule autour du personnage de Tony Guarino, une petite frappe, motivée par l'appât du gain, les grosses voitures et les jolies femmes, dans l'ombre de son frère Ben, qui s'est enrôlé dans les forces de l'ordre. Tony Guarino, c'est avant tout un homme impulsif et ingénieux, à défaut d'être véritablement rusé (ce qu'il pense pourtant). Dès le début du roman, alors qu'il n'est rien, il s'entiche de la maîtresse d'Al Spingola, Vyvyan. Il la convoite, la possède et abat son amant, l'un des caïds les plus en vue de la ville de l'Illinois. Obligé de fuir, il se porte volontaire pour aller combattre en France, où il se fait remarquer par ses supérieurs, gagne dans l'ordre une terrible balafre, des galons et des distinctions. Méconnaissable à son retour, il profite de la rumeur de sa mort pour endosser l'identité de Tony Camonte et devenir progressivement Scarface. Cette irrésistible ascension ne pourra se faire que parce qu'il a tout compris de l'évolution du gangster du XXe siècle, des affaires illicites qu'il doit mener tout en ayant un certain niveau de vie sociale. Il s'habitue très vite à l'arrivée de la mitraillette et des courses-poursuites en voitures blindées, et sait cumuler corruption des élites et entretiens des avocats. Son ascension est d'autant plus fulgurante qu'elle se déroule à l'époque de la Prohibition, période faste pour les gangsters qui devinrent millionnaires, et qu'elle est accompagnée de petits coups de pouce du destin comme le départ à la retraite du chef de gang à qui il a prêté allégeance, et sa rencontre avec La Porte-Flingue, une femme aussi exceptionnelle que belle, qui finira par le trahir à la fois par jalousie et par désœuvrement. D'ailleurs, si l'on veut pointer du doigt sa chute, on est en mesure de penser qu'il la doit à deux femmes d'exception au caractère bien trempé : sa propre sœur et La Porte-Flingue. Ainsi bien sûr qu'à sa vision de la famille puisque l'on comprend dès le début que les deux frères seront amenés à se livrer une bataille fratricide.
Cette épopée du gangster est avant tout un témoignage éloquent de la pègre urbaine, et un roman qui met à mal l'image du gangster qui veut se venger de la société. Tony Guarino emprunte la voie du grand banditisme par facilité. Parce qu'il est envieux. Et parce qu'il ne veut pas se donner le temps d'y parvenir autrement. Et puis, il n'a pas de conscience et est certain de la supériorité de son intelligence. Par la suite, alors qu'il aura la mainmise totale sur la ville, il ne sera pas capable de comprendre ceux qu'il a corrompus et qui l'abandonnent. Surtout, il foncera deux fois de suite tête baissée dans le même piège. Au final, il se révèlera ce qu'il a toujours été : un être instinctif rattrapé par ses faiblesses (non sans une certaine vengeance à l'égard de la société). Et c'est sûrement là l'intérêt principal de ce roman, son approche psychologique de la pègre de l'époque et des hommes qui y appartiennent.
Citation
C'est ainsi qu'en l'espace de vingt-quatre heures, Tony Guarino tuait son premier homme, adhérait à un gang avec pignon sur rue, et se retrouvait à la tête d'une épouse légitime. Les choses bougent rapidement dans les quartiers chauds.