The Irishman

Plus que d'un meurtre, il s'agissait d'un effaçage, d'un assassinat ayant évolué en boucherie pour se conclure par une mise en scène d'une froideur clinique sur le décor le plus fade qui soit, une demeure de banlieue.
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Non fiction - Policier

The Irishman

Politique - Disparition - Mafia MAJ jeudi 09 janvier 2020

Note accordée au livre: 4 sur 5

Poche
Réédition

Tout public

Prix: 9,1 €

Charles Brandt
I Heard You Paint House - 2016
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Jean Esch, Samuel Todd
Paris : 10-18, janvier 2020
552 p. ; 18 x 11 cm
ISBN 978-2-264-07551-2
Coll. "Domaine policier", 5505

Une autre histoire de l'Amérique

Charles Brandt, ancien procureur du Delaware, recueille dans sa maison de retraite les confidences d'un gangster d'origine irlandaise qui souhaite être en paix avec sa conscience. Cet homme, Frank Sheeran, est à l'image d'une certaine Amérique des années 1940-1960. Vétéran émérite de la Seconde Guerre mondiale (il a combattu sur le front durant 411 jours !), il a débarqué en Sicile puis il a remonté l'Italie, comme s'il s'agissait d'un acte prédestiné : il connaîtra le pays bien mieux que de nombreux mafieux italiens qu'il côtoiera par la suite. Il a vécu de petits boulots, de petites magouilles, avant de mettre le doigt dans l'engrenage criminel de la pègre, celle qui, avant 1957, n'était pas reconnue comme une organisation tentaculaire et nationale. Comment ? D'abord en jouant les chauffeurs routiers qui livrent des carcasses de viande et n'hésitent pas à arnaquer leur patron. Ensuite, il s'est fait remarquer du syndicat en sachant se taire. Enfin, en rencontrant fortuitement (?) dans une station service Russell Buffalino, l'un des parrains les plus influents de l'époque. À partir de ce moment-là, la carrière criminelle de Frank Sheeran prend tout son essor. L'homme a été habitué à tuer en tant que soldat de la Nation. Il devient soldat de la pègre, et habilité à "repeindre les murs" et à "faire la menuiserie" pour des cibles qui méritent un "aller pour l'Australie". Le jargon de la pègre est très imagé.
Si Russell Buffalino a été sa première rencontre d'importance, la seconde s'appelle Jimmy Hoffa. L'homme nous est aujourd'hui inconnu mais, dans les années 1950, il était plus connu qu'Elvis Presley. Dans les années 1960, il était plus connu que les Beatles. Sa voix était sur toutes les ondes. C'était le président autoritaire des Teamsters, un syndicat de chauffeurs routiers avec plus d'un million de syndiqués. Les deux hommes vont nouer une amitié tenace qui va dépasser le cadre professionnel. Les Teamsters sont à l'époque une des banques de la mafia. Et Jimmy Hoffa est le banquier qui tient à ce que les prêts soient remboursés. De son côté, la pègre à très mal vécu son expulsion de Cuba par les castristes (adieu la gestion des casinos), et elle prépare son retour. Mais c'est sans compter sur Bobby Kennedy, frère de John, ministre de la Justice, qui voue une haine implacable à Jimmy Hoffa et qui n'aura de cesse de l'inculper et de l'emprisonner. Ce qui finira par arriver, et lorsque Jimmy Hoffa ressortira de prison, il ne comprendra pas que les temps ont changé ce qui conduira à sa disparition sur un parking. Entretemps, Bobby, devenu le bras vengeur de la justice va s'en prendre à la mafia, qui ne se laissera évidemment pas faire. Tout cet aspect-là est magistralement narré par Charles Brandt dans ce qui s'apparente à une confession orale, parfois confuse, revenant sans cesse sur certains faits, mais toujours avec un fil directeur captivant.
La grande Histoire de l'Amérique se confond sans cesse avec l'histoire interlope. Le livre, qui peut s'apparenter à un ouvrage de non-fiction, porte un certain éclairage sur la politique, la corruption, la pègre et le mode de vie de l'époque. C'est fascinant, et Frank Sheeran traverse avec une certaine nonchalance cette épopée criminelle. On se prend d'affection pour lui, au contraire d'une de ses filles qui le rejette et d'une autre qui lui expliquera qu'elles n'auront jamais pu lui parler à cœur ouvert sous peine de le voir réagir non comme père, mais comme tueur. Tueur, il l'a été. Il endosse même le costume de traître fataliste (la mafia est impitoyable et il en connait les règles). On ne peut s'empêcher de penser à James Ellroy, puisque l'histoire ici narrée est celle de l'Amérique dans toute sa splendeur gangrenée des années 1950-1960. Mais le rapprochement s'arrête là. Il reste cette vision d'un homme qui a presque tout connu, presque traversé le XXe siècle, et qui finit tout seul, abandonné de tous, dans un mouroir, avec ses secrets qui luttent contre sa conscience. Un homme qui porte un certain regard sur son passé, mais qui semble n'avoir aucun remord. Cette histoire vient d'être adaptée par Martin Scorsese avec Robert De Niro pour interpréter le tueur. Le livre va un peu plus loin que le film dans les responsabilités de l'Irlandais (qui est bien différent de celui d'Il était une fois la révolution) notamment en ce qui concerne l'assassinat de JFK (très bien explicité par ailleurs), preuve s'il en était que cet assassinat est encore difficile à appréhender aux États-Unis. Lisez cet ouvrage de Charles Brandt. Il se dévore avec fascination.

NdR - L'ouvrage est précédemment paru chez Jean-Claude Lattès sous le titre J'ai tué Jimmy Hoffa.

Citation

Jimmy disposait d'un soutien loyal à Porto Rico, un certain Franck Chavez. Mais Chavez était un fauteur de troubles. Un sanguin. C'est lui qui avait envoyé à Bobby Kennedy une lettre de sa section syndicale à Porto Rico le jour de l'assassinat de son frère John. Il disait à Bobby qu'en l'honneur de tous les sales coups que Bobby Kennedy avait fait à Jimmy Hoffa, son syndicat irait déposer des fleurs sur la tombe de Lee Harvey Oswald et qu'il les entretiendrait.

Rédacteur: Julien Védrenne jeudi 09 janvier 2020
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