Avis de grand froid

Je suis née le jour où ma mère est morte. Papa m'a appelée Giulia, comme elle, pour ne pas oublier. Et pourtant, il ne m'en parle jamais, comme si tout cela n'était qu'un tour de magie, la disparation d'un lapin dans un chapeau, rien d'autre qu'un rideau qui tombe.
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Roman - Noir

Avis de grand froid

Politique - Complot - Attentat MAJ mercredi 23 septembre 2020

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 21,9 €

Jerome Charyn
Winter Warning - 2017
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Marc Chénetier
Paris : Rivages, septembre 2020
342 p. ; 23 x 16 cm
ISBN 978-2-7436-5113-8
Coll. "Noir"

Des nuits à la Maison-Blanche

Pour les vieux de la vieille, comme votre serviteur, la "Série noire" offrait des volumes de poche avec au dos une publicité pour du parfum. C'est là que l'on découvrait des polars classiques, des détectives qui apparaissaient interchangeables, mais avaient chacun leur petit truc : un manchot, un sans nom, un homosexuel, etc. Il y avait aussi des romans noirs improbables. Parmi ceux-ci, figurait la saga d'Isaac Sidel qui n'en était qu'à ses débuts. Le premier volet, paru en 1973, mettait en scène Marilyn la Dingue et son amoureux, un policier flamboyant. Mais Marilyn était la fille d'un gros ponte de la police qui avait des relations complexes avec ses adjoints, sa famille, les familles du crime organisé. Un policier capable d'abandonner une enquête pour foncer en Irlande sur les traces de James Joyce. Ce chef, juif, dégainant plus vite que Lucky Luke, c'était Isaac Sidel. Depuis, la série a évolué, et Isaac Sidel s'est peu à peu rapproché du centre de l'intrigue, phagocytant les autres personnages pour imposer sa carcasse. Le chef de la police est devenu maire puis est aujourd'hui Président des États-Unis.
Mais dans cet Avis de grand froid, il apprend par des espions juifs que le grand jeu à la mode consiste à parier sur sa survie et sur le jour où il mourra. Dans ce jeu trouble qui tourne autour de lui qui lui en veut à ce point ? Qui lui est fidèle ? Le vice-président ? La femme occulte qui gère le pouvoir pour les Démocrates ? Un maître espion du Troisième Reich reconverti en riche homme d'affaires ? Un homme des bas-fonds de l'ancienne pègre de la Russie ? Un militaire revenu du Vietnam et à la tête des meilleurs mercenaires du monde ? Et si le futur assassin du Président était déjà dans l'ombre déguisé en serviteur ?
Entre une fuite à Camp David (qui va être attaqué sous la neige), une visite hallucinée (à la recherche du Golem, de Kafka et des restes des camps de Terezin) dans Prague qui oscille en cette fin 1989 entre la tentation de liberté et le poids soviétique (avec un Président qui espère renverser la vapeur en inondant les marchés de faux dollars absolument peu crédibles !), des discussions pour les tatouages à valeur symbolique des truands passés par le goulag, des légendes des grands terroristes juifs qui fondèrent l'État hébreu, et une entrée en fanfare dans les prisons pour libérer des otages, le Président a fort à faire, promenant sa silhouette dégingandée, vêtu d'un K-Way et d'un pistolet qui pèse si lourd qu'il passe son temps à ramasser son pantalon. On imagine un Harpo Marx, un peu plus grassouillet, empli de l'âme des héros ténébreux de William Shakespeare, et des fantômes des grands écrivains juifs de l'Europe de l'est, fonçant et défonçant tout dans les couloirs de la Maison-Blanche.
Il faut accepter de se laisser emporter dans ce tourbillon, de boire la tasse, d'émerger au milieu d'un remous et de replonger la tête sous l'eau, de se laisser envahir par la drôlerie des situations, même si cela part dans tous les sens, et que l'intrigue noire ou policière stricto sensu a disparu (même s'il y a des complots dans les complots avec des retournements d'alliance). Jerome Charyn écrit depuis des années des livres libres, parfois géniaux, parfois bancals, foutraques, comme des films de Benoît Delépine et Gustave Kervern, des récits où éclate la joie de vivre, le plaisir de l'écriture et par ricochet celui de la lecture.

Citation

Isaac Sidel avait l'intention d'éliminer la pauvreté le premier jour de son mandat ; il parlait de subventionner les défavorisés. Ses plus proches collaborateurs durent se racler la gorge ; après quoi ils firent comprendre à Isaac que ce n'étaient pas les défavorisés qui l'avaient catapulté à son poste et avaient déclenché un raz-de-marée démocrate, que pas un d'entre eux n'avait voté.

Rédacteur: Laurent Greusard mercredi 23 septembre 2020
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