Contenu
Grand format
Inédit
Tout public
Un sac pour le SAC
Xavier Boissel nous avait déjà proposé un très joli quoique sombre roman noir qui se déroulait à Paris en 1966 avec l'ombre planante du Service d'Action Civique (le fameux et trouble SAC). Cinq ans après la sortie chez 10-18 d'Avant l'aube, l'écrivain revient sur les derniers (?) soubresauts de cette association (de malfaiteurs) au service du général de Gaulle et de ses successeurs.
L'action de Sommeil de cendres se déroule en 1974 (à la veille de la mort de Pompidou, période charnière), et va nous emmener de Paris en Ardèche et proposera même en filigrane une double escapade en Israël pour la protagoniste principale de cette histoire assurément pas banale. Tout débute à Paris sur le périphérique avec la découverte du cadavre d'un jeune homme qui de toute évidence a été torturé. L'inspecteur Éperlan se retrouve chargé de l'enquête, bientôt abandonné par le commissaire Wouters, son supérieur, le seul avec qui il arrive à travailler, pour cause de péritonite. Très vite, il remonte une piste et découvre l'identité de la victime : Ghislain Breil-Martel, fils de bonne famille, des études de médecine avortées, militant maoïste au début des années 1970, fiché par la police. Rien de bien grave, et qui ne justifie absolument pas son état. Le lecteur, lui, détient des informations que ne connait pas encore Éperlan. Faut dire que la structure du roman l'aide.
Nous suivons simultanément trois destinées qui vont se percuter de plein fouet. Évidemment, en premier lieu, celle de Michel Éperlan, inspecteur qui a une assez haute idée de ce qu'est être inspecteur de police en France. Il a un passif pathologique. Il a fait la guerre de Corée. Il est en instance de divorce. Et sa rencontre avec Alexia Zorn ou quel que soit son alias va venir lui (dé)nouer les tripes (une photo d'elle avec un certain grain de beauté va le troubler tel un doux euphémisme). Alexia Zorn (ou Alba Schwarz), c'est la petite amie de Ghislain Breil-Martel, la victime. C'est dans son appartement que tout a débuté. Mais ce que ne savaient absolument pas les tueurs venus récupérer de l'argent pour le SAC (qu'on leur a escamoté en raison de dettes de jeu), c'est qu'elle a fait son service militaire en Israël et que c'est une adepte du krav-maga. Alors, elle a pu s'enfuir, traverser la France et se réfugier dans une maison familiale à l'écart de tout en Ardèche pour sevrer une dépendance à la drogue et faire le point tout en ressassant son passé et ses amours perdues (pas Ghislain, mais un certain Tal). Seulement, dans l'ombre, plane également la destinée de Müll, un tueur au service du SAC, qui revient du Maroc avec un chargement de cocaïne et qui va se retrouver sur ses traces.
Sommeil de cendres est un roman classique, écrit tout aussi classiquement, qui vient réveiller certaines pages sombres de l'histoire de France avec beaucoup de talent (à l'instar de ce qu'a pu écrire Thomas Cantaloube dans Requiem pour une république). C'est-à-dire qu'il faut aimer les coulisses du pouvoir, les histoires où politiques et truanderie s'associent et où quelques personnages, parfaitement bien campés, viennent mettre un grain de sable dans un engrenage huilé. Surtout, comme c'était déjà le cas avec Avant l'aube, Xavier Boissel nous propose un personnage fort de flic qu'il ne ménage absolument pas. Après Marlin, voici Éperlan (faut l'entendre de la voix d'Alexia pour comprendre qu'il y a du Manchette, de l'Épaulard, personnage de Nada, derrière ça, et que le style et l'action ramènent à cette époque du néo-polar avec des sentiments et des amours trahies en prime – sans occulter un certain désabusement). Un roman qui se lit comme un bon vieux roman des années 1970. Simple et bougrement efficace.
Nominations :
Le Noir de l'Histoire 2023
Citation
Éperlan était depuis ses années de formation, convaincu que tout, dans une histoire de crime, était affaire de perception et non de méthode.