CHRONIQUES

livres • bandes dessinées • comics
Prix : 22,00 €
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Édité chez
ISBN : 978-2-36749-122-6
Nombre de pages : 168
Format : 23 X 16 CM
Année de parution : 2025
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9 / 10

Cut up à Tanger

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Dans les années 1950, Tanger, « Zone internationale », attire toute une foule d'Occidentaux en mal de liberté créatrice et de fastes mondains. Une ambiance propice aux coups tordus que Louis Nègre restitue dans un roman historique grinçant à souhait.

Jack, écrivain poète canadien épris de liberté, a pris ses quartiers dans la Zone internationale en compagnie de son ami William, écrivain lui aussi,  surtout camé: voilà beau temps qu’il a jeté l’ancre dans les eaux profondes du narco-rêve ininterrompu, laissant passer des jours sans rien avaler, des semaines sans se risquer sous la douche. Quant à écrire… même pas la peine d’en parler. Il a bien quelque chose en cours mais ce n’est pour l’heure qu’un monceau de pages éparpillées sur le sol de la chambre miteuse que lui loue Mme Papaconstante. Conscient de la radicalité des écrits de son ami, Jack dactylographie tant bien que mal cette production chaotique afin de la rendre lisible. Mais le plus urgent est de tirer William de sa léthargie stupéfiée. Et cela commence par un passage au hammam de Mehdi.

D’extraction plus que modeste, Mehdi n’est pas un simple propriétaire de hammam: doté d’une beauté sidérante et d’une intelligence tout aussi exceptionnelle, il a su se rapprocher du gratin mondain de la ville tout en évoluant dans ses recoins les moins reluisants. Amant du consul de France en poste, intermédiaire occasionnel pour des transactions douteuses, éminence grise de l’arbitre local des mondanités, il est aussi devenu l’ami des deux Américains. Au détour d’une conversation où le fameux manuscrit s’est invité, Mehdi s’improvise agent littéraire.

Pendant ce temps, la richissime Barbara prépare une de ces fêtes dont elle a le secret. Elle s’en remet à David pour lui concocter une liste d’invités brillants, originaux… si possible nimbés d’une aura sulfureuse. Reste à financer les réjouissances mais, statut particulier de la ville oblige, puiser dans son immense fortune va exiger quelques acrobaties financières. Son banquier, Manolo, est expert en la matière.

La chronique artistico-mondaine grinçante se mue en polar quand Mehdi, devenu transporteur des fonds destinés à Barbara, se fait violemment agresser et dépouiller de son précieux fardeau. Le crime crapuleux s’aggrave avec la mort (suspecte) du consul de France et l’assassinat de Mehdi peu après. Des investigations policières sont bien entendu lancées. Quant à les voir aboutir, c’est une autre histoire. Trop d’intérêts en jeu, trop de réputations menacées à préserver. In fine, la seule véritable victime de cette tortueuse affaire semble bien être la Vérité.

L’intrigue aux fondements banals dans la sphère du roman noir et policier est transfigurée par la manière dont elle portée: une narration tout en discontinuité organisée en chapitres courts dont les articulations demeurent implicites; un style ciselé – écriture savamment rythmée par une alternance de propositions elliptiques et de phrases plus amples nuées d’élégance, images brillantes où l’érudition pointe («Cela était dit sur le ton outragé d’un général d’Empire à qui on aurait suggéré d’aller fleurir la tombe de Wellington.») –; un ton délectable qui laisse affleurer l’ironie. Sans oublier qu’il s’agit d’un roman historique, tout en allusions et en références plus ou moins transparentes, où les codes du genre sont utilisés avec finesse.

La lecture de Cut up à Tanger est d’emblée plaisante même si l’on n’a pas lu Naked Lunch (Le Festin nu), et que l’on ignore tout de la Beat Generation comme du contexte international des années 1950 – l’écriture suffit à séduire. Dès lors que l’on est familier de cet univers, de ce moment d’histoire (ou que l’on a pris la peine de s’informer et de combler ses lacunes), les allusions perdent leur opacité et l’art subtil (ludique?) avec lequel l’auteur les a instillées dans son récit se révèle tout entier. De plaisant, le roman devient jubilatoire.

Publié le 1 novembre 2025
Mis à jour le 3 novembre 2025
– Hum. « E se non è vero » ? – « Se non è vero, è ben trovato » répondit Manolo qui parlait couramment italien.
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