Le journaliste propose à Wired d’être l’objet d’une chasse à l’homme après avoir fomenté sa propre disparition et caché son identité. Les chasseurs ont un mois pour le traquer. Et celui qui voudra empocher les cinq mille dollars de récompense devra le prendre en photo tout en énonçant clairement le nom « Fluke » (qui est, rappelons-le, le nom du chien de Sheppard). Dans la lignée héritée de Truman Capote (De sang-froid), Evan Ratliff tente cependant de renouveler le genre. On a souvent voulu depuis le grand romancier américain être dans la tête d’un tueur. Force est de constater que l’impact est moins grand si l’on souhaite s’immiscer dans la peau d’un fuyard ! Les deux textes nous apprennent beaucoup sur l’humain. Sheppard est un fugitif victime d’une pression sociétale trop importante. Pour la fuir, dans un premier temps, il s’est réfugié dans des addictions (malbouffe, achats compulsifs). Aux abois, il a concocté un plan sans trop de préméditations et sans prévenir sa famille (une femme, une fille) tout en laissant la porte ouverte aux suspicions (un téléphone portable en vadrouille, un ami dans la confidence, une assurance-vie pour sa femme) d’un enquêteur de police. Comme de nombreux acteurs criminels, il laisse de nombreuses traces. Nous sommes en 2008, et Internet n’est pas encore ce qu’il est devenu aujourd’hui, à savoir un lieu virtuel où l’on peut vous suivre à la trace. C’est peut-être pourquoi Sheppard aurait pu malgré tout réussir. Seulement, il est comme Raskolnikov, un être humain, avec des besoins d’être humain, et se révèlera incapable d’abandonner les siens, faisant ainsi une croix sur son succès. Mais son odyssée conserve ce côté merveilleux que savent très bien exploiter les Américains.
Et en cela, nul doute qu’Evan Ratliff est un bon exploitant. Son expérience qu’il relate dans Disparaître est truculente. Pendant un mois, il passera de Las Vegas à Saint-Louis et à La Nouvelle-Orléans, il se déplacera essentiellement en bus Greyhound ; utilisera des téléphones prépayés, des cartes cadeaux Visa, des proxy et se créera une fausse identité tirée de Gatsby le magnifique. Lui aura l’intelligence de ne laisser personne dans la confidence. Mais il aura à ses trousses les plus chevronnés des enquêteurs qui le traqueront sur le Net (un véritable jeu du chat et de la souris avec des fausses pistes et de la psychologie dans la psychologie digne des plans de la Guerre froide). Mais pendant ce temps, il expérimentera ce qu’est de ne plus être soi-même (avec des évolutions capillaires que l’on peut découvrir sur les portraits en tête de chaque chapitre), de sombrer quelque peu dans la paranoïa et de vivre l’abandon (volontaire) de ses proches. On suit à la fois son texte et les interrogations de ceux qui le pourchassent et ont créé des groupes de réflexion. Comme pour Raskolnikov, il vivra cependant son échec comme un soulagement. Échec que lui et Wired auront provoqué par goût du sensationnel mythologique. Deux enquêtes journalistiques avec une écriture fluide qui se répondent et dont les titres forment un programme qu’il est de plus en plus dur aujourd’hui d’avoir pour tenter de se réinventer. Rien de plus actuel !