Depuis plus de cinquante ans, le trafic de drogue s’est durablement installé au Mexique et n’a cessé d’engendrer son lot de violence et de morts, déclenchant de véritables « guerres », que ce soit à l’international contre le puissant voisin étasunien, excédé des flots de stupéfiants qui traversent la frontière et inondent son territoire, ou sous forme de guerre civile entre trafiquants eux-mêmes pour s’assurer le contrôle de ce lucratif marché. Figure récurrente des fictions noires, de la série télévisée Narcos aux romans de Don Winslow, le trafiquant mexicain n’en est pas moins une figure bien réelle, rouage d’une économie parallèle et parasitaire.
À travers ce remarquable essai, l’historien Thierry Noël remonte l’écheveau du trafic de drogue au Mexique, des débuts encore timides de quelques paysans exportant de la marijuana au Nord pour satisfaire la demande des hippies de l’autre côté de la frontière aux tentaculaires organisations hyper-connectées d’aujourd’hui, qui n’hésitent jamais à recourir au meurtre ou à la violence pour assurer leur domination sur le trafic. Il démontre, au fil des décennies et des tentatives plus ou moins fructueuses de mettre un terme au trafic de stupéfiants, l’incroyable degré de collusion et d’imbrication entre les politiques, les militaires, la police et les narcotrafiquants, et la corruption endémique qui rend tous ces efforts dérisoires. Au fil de pages passionnantes, Noël dresse le portrait de quelques narcos emblématiques plus ou moins célèbres (d’El Chapo à La Barbie ou Osiel, créateur des terrifiants Zetas) et décrit par le menu la guerre sanglante que livrent depuis des décennies les trafiquants, au pouvoir ou à leurs adversaires. Enlèvements, meurtres aveugles, vendettas, démembrements, immolations, La Guerre des cartels ne nous épargne aucune anecdote glaçante, telle cette bataille rangée entre membres des forces spéciales, non pour le compte du gouvernement qui les emploie, mais pour celui des deux gangs rivaux qui les soudoient, ou les exécutions multiples de policiers pour servir de message au camp d’en face.
Bien que, hélas, l’ouvrage date un peu, puisque sa première édition remonte à 2019, et ne peut donc prendre en compte les conséquences de l’arrivée de l’administration Trump au pouvoir et de sa politique offensive de représailles contre les narcotrafiquants, il n’en demeure pas moins un outil indispensable pour comprendre les ressorts d’une guerre impossible à gagner, qui compte déjà des dizaines de milliers de morts de part et d’autre, sans compter les multiples toxicomanes ayant payé de leur vie la consommation de produits made in Mexico. Un rappel salutaire de la réalité d’un trafic qui fascine (il n’y a qu’à voir la quantité d’ouvrages ou de séries télévisées consacrées à des narcos célèbres ou imaginaires) mais qui tue chaque année des milliers d’innocents et empêche le plein développement du Mexique, devenu, en partie contraint et forcé, une des têtes de pont du trafic mondial.
