Quelle visibilité offrir à ceux que la société dissimule quasi discrétionnairement ? A l'origine, une exposition. Aujourd'hui un livre pour en poursuivre le projet : la prison comme objet d'attention des artistes contemporains, chargés d'en délivrer une représentation esthétique. Un livre qui prend place dans le champ de la réflexion artistique, saisie d'emblée comme aveugle à son objet : la prison, qui est une torture avant que d'être une représentation. Mais dont la réalité affleure pourtant sous les témoignages, précieux, de prisonniers politiques évoquant le degré de souffrance inouïe que l'on y subi. L'ensemble des collaborations dessine un objet complexe, interrogeant ce que la prison donne à voir tout autant que ce que nous voulons en voir. Une approche multiple, paradoxale, ne cachant rien de ce qui est peut-être raté, en particulier lorsque l'on veut sincèrement s'interroger sur la question de savoir comment un regard esthétisé du dehors pourrait bien se muer en une expression artistique du dedans. Avouant même au détour d'un entretien la trivialité d'une telle démarche, dès lors que la transgression est prise en charge par l'institution artistique. Il est du reste déconcertant de voir qu'à propos des prisons, ce soit la figure artistique de l'Ennemi Public conditionnée par celle de l'Ennemi Public n°1 que l'on brandit encore, et que c'est cette figure qui est supposée nous fournir les clefs de compréhension du vide dans lequel tombe la situation de l'immense majorité des détenus de droit commun… Reste la question de l'art des prisonniers. Celle de ces laboratoires expérimentés ici et là autour de l'image de soi dans la fabrique de l'autoportrait, supervisée par des artistes souvent en retrait du genre. Reste ce statut particulier des images qui sont faites en prison, et dont on comprend bien qu'elles dérangent l'Administration pénitentiaire. Il y a des expériences magnifiques rapportées dans ce livre à ce propos. Et puis ce témoignage, radical à sa manière, venant brutalement interrompre le cours de la réflexion pour nous jeter à la figure le réel de la prison. Celui de Jean-Pierre Carbuccia, affirmant avec juste raison que l'art n'a que très peu de place dans la réinsertion des détenus. Pour lui, l'état des prisons françaises est tel qu'il ne peut fournir aucun projet réel, a fortiori culturel. Il est bon d'être pareillement ramené aux réalités, têtues. Quid alors de l'expression artistique dans un univers où l'on se pose surtout la question du nombre et de savoir comment dératiser efficacement ?