Giulia est une jeune femme passée par une école religieuse dans son village natal. Elle a grandi, a vu son frère mourir dans un accident de moto dont elle se sent confusément responsable. Elle continue cependant à vivre, tant bien que mal, avec sa grande amie et un homme, son confident. L’école où elle a été élève est encore dirigée par une sœur, un peu stricte, qui la convoque : elle pense que Giulia pourrait devenir une institutrice compétente. Elle l’engage à l’essai pour s’occuper des petites sections. Giulia y découvre des collègues sympathiques, des sœurs parfois tatillonnes, parfois ouvertes d’esprit. Elle est juste un peu inquiète car le concierge de l’école n’est autre qu’un de ses condisciples, et il est resté amoureux d’elle, même si, elle, a tourné la page depuis longtemps. Au fil des semaines, elle découvre les petites joies, les petites rancœurs d’un univers un peu fermé. Surtout elle essaie d’éviter le concierge qui entend renouer leur ancienne relation. Elle est parfois mal à l’aise comme si elle avait mangé ou bu quelque chose d’empoisonné. Ce qui va la perturber, c’est un jeune enfant, Téo, quatre ans. Il lui offre des dessins de plus en plus étranges, très gothiques et elle ne sait comment les interpréter : Téo est-il frappé par ses parents (voire par la directrice de l’école) comme certains dessins pourraient le laisser penser ? Et ce dragon qui survole sa tête, qui représente-t-il ? Et quand les dessins commencent à évoquer un jeune homme mort avec une moto, elle se demande s’il ne pourrait pas s’agir de son frère.
Le récit de Valerio Marra est régulièrement ponctué des dessins illustrés par Stefano Pavolini (ceux de Téo principalement mais aussi d’autres élèves) et cela renforce le sentiment sombre de magie et de possession du texte. Ensuite, vu à travers les yeux de l’institutrice débutante, chaque action est gangrenée par les pensées des lecteurs qui ont appris à lire et voient des choses derrière les phrases, les dessins et les actions des personnages : les amis sont-ils vraiment amicaux ? Les sœurs sévères cachent-elles quelque chose ? Ne faudrait-il pas se méfier de celles qui ont l’air plus gentilles ? Le roman maintient le suspense sur qui sont les coupables, et de quoi exactement. Sur ce frère mort, sur le gout du café ou des cookies. Maîtresse est un véritable traité du doute, de la rumeur, du sens caché des choses (avec d’ailleurs un retournement final intelligent et crédible alors qu’il renverse la table). Tous ses éléments créent un récit gothique étrange et prenant, tout en subtilité. Pour amateur éclairés par ce genre de récit nauséeux où tout est caché, ou les non-dits et les faux semblants sont autant de signes que les vérités crues.