Avec Walt Disney et ses émules, on s'était habitué à ce que les animaux ne cachent rien d'autre que des travers humains sous de vagues déguisements un peu à l'image de La Ferme des animaux, de George Orwell en version édulcorée. Pourtant, l'inspecteur Canardo cher à Sokal avec sa démarche columbesque nous avait déjà attiré vers d'autres cieux. Mais c'est dans une autre direction encore que nous entraine Sébastien Rutés. Pas d'anthropomorphisme louche, ni de vision humaine du monde animal, mais un récit raconté à la première personne, par un animal, de manière très réaliste.
L'auteur restitue une façon de voir, une cosmologie, une religion, une vision philosophique du monde à travers les yeux d'un corbeau. Même si au final, toutes les pistes trouvent une solution et si tout est explicité de manière satisfaisante, l'histoire laisse entrevoir ce qu'elle n'a pas dévoilé, à savoir que le monde animal est plus complexe que nous l'en avons cru, que l'animal central a décrit ce qu'il pouvait et nous a offert un récit cohérent mais que nous n'en avons pas forcément saisi toute l'âpre nature. Même dans cette originale utopie animale, il y a des forts et des faibles, et même des espèces méprisées, comme les poissons par exemple. Le corbeau nous offre la vision d'un Paris bucolique où derrière le béton sourd la vie, vibrante, comme ces arbrisseaux qui persistent à vouloir grandir au milieu des autoroutes.
Mélancolie des corbeaux est une plongée envoûtante dans un univers qui grouille à côté de nous sans que nous en ayons conscience, et nous invite à y entrer en une parabole sur notre propre vie, sans le transformer en une fable animalière qui ne serait que la pâle transcription du monde tel que nous le connaissons.