Le Mogador est un petit hôtel quelque part au Sénégal. Ses patrons, un couple de blancs un peu paumés, qui croyaient vivre une aventure et qui se retrouvent coincés, avec des dettes et peu de clients. Peu c’est bien le terme car en ce moment un seul pensionnaire séjourne dans cet hôtel. Et encore, il a plusieurs semaines de retard à payer, mais il les fait attendre. De fait, Pierre Meyer est un tueur à gages, trahi par son patron, qui se terre-là en attendant des jours meilleurs. Peu de solutions s’offrent à lui. Surtout qu’il doit se faire discret car il se doute que son patron a envoyé des gens pour s’occuper de lui. Aussi hésite-t-il à se rendre en ville pour chercher le mandat que devrait lui envoyer son employeur car il pourrait s’agir d’un piège. Dans la moiteur de l’hôtel, les trois blancs se croisent, se frôlent. Tout d’un coup, la patronne envisage une solution : braquer une petite banque qui continue à fonctionner malgré des travaux qui entravent la faible sécurité. Et elle se dit qu’elle pourrait peut-être partir et refaire sa vie avec ce client au charme indéniable. Peut-être que son mari ne se doute de rien ? Mais peut-être est-ce mal le connaître ? Dans le même temps, en ville, un inspecteur de police dans sa voiture branlante, dont rêverait même un Columbo, se balade et enquête. Un musulman incorruptible (ce qui fait bien rire le reste des forces de police) qui doit cacher à sa femme que leur fils est en train de mourir et que le docteur blanc qu’il fait chanter pour obtenir des soins ne peut plus grand-chose. Un inspecteur qui risque gros car il vient de mettre fin à un trafic que « soutenait » le député local. Il lui faut redorer son blason, ce qui peut peut-être être le cas avec l’arrestation des braqueurs…
Richard Canal, est un habitué des mauvais genres, qui a signé de bons romans de science-fiction et qui s’est aussi essayé avec bonheur au roman noir. Ayant travaillé en Afrique, il connait notamment le Sénégal où se situe ce Mogador. Il parvient à en restituer l’atmosphère, la moiteur, la vie des habitants, Africains coincés dans leur vie quotidienne, petits blancs paumés ou notables plus orgueilleux. Entre le braquage, dont on sent dès le départ le côté foireux avec ces amateurs (des scènes entre dérision et humour pour trouver des cagoules ou voler un véhicule pour faire le hold-up quand on est maladroit) et ce policier qui sillonne la ville avec un véhicule qui semble partir en morceau, et jongle entre son honnêteté, la corruption généralisée et son fils mourant. On suit en alternance les actions des uns et des autres pour montrer comment leurs chemins vont se croiser (une variation autour du Cercle rouge, de Jean-Pierre Melville qui quoi que l’on fasse fera que ceux qui doivent se rencontrer se retrouveront inéluctablement à un moment) avec une lente montée de la tension, de la chaleur, de la poisse qui imprègne les corps et les destins. Tout ces éléments créent un roman très attachant, des personnages finement dessinés et quelques scènes « oniriques » écrites avec force. Un récit qui reste en mémoire.
NdR – Le roman est initialement paru sous le titre La Route de Mandalay en 1998.