Et c’est bien ainsi que l’on doit décrypter les dernières années de la vie d’un homme qui est quelque peu dans notre imaginaire l’égal de Davy Crockett. Pourtant, à l’instar du représentant de l’État du Tennessee, l’homme est un holy bastard, exterminateur sans pitié de bisons dans le but avoué de repousser (au mieux) les Indiens au fin fond de réserve désertiques où ne poussaient que des bouteilles de mauvais alcool. Mais le pan de sa vie qui intéresse l’auteur est celui que le tireur consacre à sa troupe de théâtre populaire, le Buffalo Bill’s Wild West. Il nous fait plonger dans un monde étonnant qui évoque la résurgence des jeux du cirque avec des spectacles à couper le souffle, des batailles épiques revisitées qui portent haut la gloire de la nation et qui font pousser des hurlements de haine chez les spectateurs qui veulent voir le sang des indigènes couler. Rien ne semble échapper à son œil. Le lecteur plonge dans les affres techniques et administratives car si le show est souvent réussi, il ne tient qu’à un fil financier. Et pourtant, le Buffalo Bill’s Wild West, pionnier du genre, va à la rencontre de spectateurs avides aussi bien aux États-Unis qu’en Europe.
L’Europe, et la France, c’est là que Éric Vuillard réussit peut-être à dresser le plus joli et intéressant portrait de Buffalo Bill en mettant en avant la solitude d’un homme ravagé par l’alcool, la noirceur d’une vie, qui se nourrit sexuellement de femmes de petites vertus et qui tombe peu à peu dans une décrépitude physique. C’est là aussi qu’il fait ressurgir l’aspect visionnaire et empreint d’américanisme d’un homme tourmenté entre ses amitiés qu’il souhaite indéfectibles et son besoin de faire surnager sa dernière œuvre, son spectacle artistique avec toute sa grandeur. Dans un souci dans mettre plein la vue, Buffalo Bill aura convaincu l’un des plus grands chefs sioux, le respectable Sitting Bull, de faire partie de son show. L’Indien ne sera pas autorisé à partir en Europe, dans l’intervalle il soutiendra les adeptes de la danse des esprits – un mouvement religieux indien qui trouvera une sanglante résolution lors du massacre de Wounded Knee – ce qui lui vaudra une tragique tentative d’arrestation et un lâche assassinat. Parti se recueillir sur sa dépouille, Buffalo Bill n’en oubliera pas moins de récupérer des reliques, marketing oblige.
C’est cette histoire doublement tragique et bouleversante, que nous narre Éric Vuillard. Elle est romancée, magnifiée, rendue légendaire, mais elle est aussi critique. Le lecteur intéressé, curieux d’en savoir plus sur cet homme, incarnation de l’épopée américaine, pourra se plonger dans Vie et aventures de Buffalo Bill, un ouvrage d’Albert Bonneau, qui a été réédité l’année dernière aux Ateliers Fol’Fer. Albert Bonneau (1898-1967) étant l’une des figures marquantes de la littérature populaire française, l’une des figures de proue du western.