La police est-elle malade de sa gestion ? C'est la question que posent sans détour Yves Patrick Delachaux et Frédéric Maillard, dans ce numéro du Bulletin de la société d'études économiques et sociales suisse. Question passionnante, enrichie de réflexions d'une pertinence rare, comme celle de prendre acte du fait que, dans nos démocraties, la délinquance ne soit par exemple pensée que comme une déviance par rapport à un état originel harmonieux. C'est, on l'a deviné, cette présupposition d'un état originellement harmonieux qui pose problème, d'autant que le site naturel de nos sociétés contemporaines est en réalité le conflit. Comment la paix sociale pourrait-elle ainsi n'y être autre chose qu'un objectif impossible à atteindre, tant il est lui-même soumis à de multiples pressions, dont la pression économique qui pèse de tout son poids comme facteur de violence, et sur laquelle les policiers n'ont aucune prise ? C'est là le grand mérite de nos deux essayistes, que cette volonté de ne pas faire abstraction de ce que l'on congédie d'ordinaire volontiers dans les discours hypocrites du personnel politique, qui se refuse à prendre acte de la violence inscrite dans nos sociétés sous la forme de très fortes inégalités sociales par exemple. La question posée en exergue à leur réflexion est en outre plus subtile qu'on l'imagine, cette mauvaise gestion révélant en fait une crise du sens orchestrée par la hiérarchie policière elle-même. En mettant en effet l'accent sur la répression sans en éclairer les raisons structurelles, cette hiérarchie ne fait que précipiter tout le corps policier dans la schizophrénie d'un service qui n'est pas celui de la Nation, mais d'une caste de privilégiés qui ont confisqué l'institution policière à son seul profit… La critique des sous-cultures policières héritées de la droite-nationaliste-raciste fait ici mouche, sous la plume d'un homme qui en a eu assez de n'être pas entendu, comme flic d'abord, puis comme consultant auprès du Conseiller d'Etat suisse en charge de la Police.
