Le narrateur d’À contre-voie, de Gertrude Walker, descend d’un train de nuit sous la pluie. Voyageur clandestin, il traverse les rues de la ville quand une femme l’appelle d’une fenêtre ouverte et éclairée. Elizabeth lui demande s’il peut aller lui acheter à manger. Il sait qu’il a la poisse et qu’il devrait fuir. Pourtant, il s’acquitte de sa mission et revient s’installer à table, chez elle, enfilant les chaussons d’un homme qu’il ne connait pas. Cet homme est affalé, mort, dans une autre pièce. Et le narrateur est le coupable tout trouvé par Elizabeth de ce crime, un indigent. Mais elle ne sait pas que le narrateur est gaucher, qu’il a une prothèse à la main droite. Et à partir du moment où il lui montre, c’est lui qui prend les rênes du couple.
Ensemble, ils partent s’installer dans un mobile-home du fin fond de la campagne. Jusqu’au jour où Elizabeth disparait, ne laissant derrière elle qu’un tas de cendres, son alliance, un bridge, une mèche de cheveux. Autant d’indices qui tendent à prouver qu’elle a été assassinée. Au cours d’un procès bâclé, le narrateur est incarcéré. Libéré sur parole grâce à un directeur de prison qui le croit innocent, il reprend pied dans la société. Il sait qu’Elizabeth est vivante. Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’elle va à nouveau croiser son chemin. Des années ont passé. Les deux ont changé. Mais entre eux se tient également un autre homme, qui a eu la chance de refaire honnêtement sa vie. Et lui, tient une partie du jeu de clés de ce drame.
Gertrude Walker, romancière, actrice éphémère et scénariste a été la première femme intronisée à la « Série Noire ». Elle nous propose ici un roman noir terrible avec une fin désespérante. Mais il y a cette façon dont elle construit ses personnages. Le narrateur, d’une part. Qui sait que la poisse lui colle au dos. Et dans cette histoire, il ne maîtrise pas grand-chose hormis quand on en arrive aux derniers jours de l’histoire. Un fatalisme prégnant, une rébellion intermittente. Un vrai anti-héros du noir. Elizabeth, elle, est une femme d’un genre fatal. Elle connait ses atouts que l’on peut résumer à son corps, sa beauté, son intelligence. Elle sait ce qu’elle peut en faire sur les hommes. Et elle compte bien gravir les échelons à mesure qu’elle change d’homme.
Seulement, elle ne maîtrise pas les émotions des hommes, aussi est-elle obligée à chaque fois de s’en sortir par des pirouettes (un crime, une disparition, un mensonge d’une vie). Dans À contre-voie, Elizabeth croise trois hommes, et tente de se jouer d’eux, non pas par vénalité, mais parce qu’elle s’estime en droit de le faire. Et on ne peut décemment lui en vouloir car une fois son objectif atteint, qu’elle est enfin devenue quelqu’une, celle qui était à contre-voie devient en quelque sorte rangée des voitures. Mais Gertrude Walker n’est pas qu’une fine observatrice du genre humain. Et les retrouvailles annoncées entre ses deux personnages seront terribles. On regrettera simplement qu’elle n’ait écrit que trois romans.