Courteville, juillet 2022. Sous la canicule et en plein épisode du Covid, Gilles Poulain, le maire fraichement élu, appelle au téléphone les anciens du village pour avoir de leurs nouvelles et leur prodiguer quelques conseils. Mais impossible d’entrer en contact avec Albertine Buisson, 99 ans, du hameau de la Noue. Alors que de nouveaux arrivants sont attendus (des Parisiens adeptes du télétravail), le maire remonte les rues de sa commune, saluant ses concitoyens, jusqu’au salon de coiffure de Roselyne. Roselyne est membre du conseil municipal. Roselyne est la femme de Christian, le chauffagiste et Père Noël de la commune. Roselyne est surtout la belle-fille d’Albertine. Mais Albertine et Roselyne sont en froid et ne se sont pas vues depuis quarante ans. Par la suite, Christian suffoque et tombe dans le coma. Auparavant, il a pu dire le terrible secret qui le hante : sa mère est décédée depuis une dizaine d’années. La gendarmerie arrivée sur place ne trouve nulle trace d’Albertine, et fait appel à l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale, qui met la main sur des fragments dos et d’une prothèse, la vermine s’étant sûrement occuper de tout nettoyer. Seulement, dans le village, les mauvaises langues commencent à se délier. Les rumeurs circulent alors que la presse s’en donne à cœur joie. D’autant que les expertises scientifiques tardent à être concluantes. Devant le maire, c’est tout un pan sociétale bâti sur l’entraide qui est en train de se déliter. Alors, il se démène pour qu’aucun nouveau drame ne vienne entacher ce qui est déjà bien taché.
À partir d’un fait divers réel, Vincenzo Bizzarri (dessin), Vincent Guerrier et François Vignolle, nous offrent une bande dessinée « ordinaire », de « terroir », au rythme lancinant malgré le poids de la chaleur et la chape de plomb moralisatrice qui s’abat sur le village (un peu à l’instar du Corbeau, de Henri-Georges Clouzot). Chronique d’un drame ordinaire, la bande dessinée pose la question de comment s’occuper des anciens dans une commune rurale profonde (et par extension comment les accompagner tout court). On ne saura jamais réellement ce qui s’est passé. Comment Albertine est morte. Mais là n’est pas le propos. Le propos est de savoir comment la société peut en arriver là. Parallèlement, les auteurs nous emmènent à l’intérieur d’un Ephad, dans une gendarmerie. On se confronte à la « vraie vie ». Il y a quelque chose d’humain qui se dégage de cette histoire qui exclut d’entrée tout voyeurisme pour s’attacher aux pas d’un nouveau maire qui tente tant bien que mal de bien endosser son rôle et dont les rapports (et les craintes) avec sa vieille mère font écho au drame. Pour cette atmosphère volontairement « Louis la Brocante », Vincenzo Bizzarri propose un dessin très expressif avec des teintes pastel comme pour mieux accompagner cette vie mouvementée d’un village qui interpelle les peurs croissantes de ses villageois vieillissants. Tout l’intrigue baigne dans un état mélancolique dont le rendu ne peut nous laisser insensible.