Ombir Singh est inspecteur de police à Teetarpur, un petit village en Inde. Il y connait bien tous les habitants et a fait son trou dans ce coin. Comme il vient enfin d’avoir un enfant et que sa femme aimerait voir autre chose, il attend avec impatience une promotion, mais celle-ci tarde à venir et, qui plus est, arrêter des gens pour des crimes importants n’est pas gagné. Heureusement qu’il touche des petits à-côtés de la part des notables, cela fait au moins un peu d’argent. Mais comme tous les villages, il y a des problèmes. le foncier en premier : les petits paysans ont de plus en plus de mal à vivre et le travail est rude alors qu’ils pourraient vendre soit aux gros agriculteurs, soit aux promoteurs qui, mine de rien, déforestent un peu, classent les terrains agricoles en zones constructibles et s’empressent de construire immeubles et zones commerciales pour les villes surpeuplées. De plus, depuis les nouveaux gouvernements, les tensions montent entre la majorité hindoue et les minorités religieuses : les musulmans comprennent que vendre leurs biens un bon prix et partir pour les pays lointains mais où l’islam domine est une solution intéressante. Les hindous de leur côté sont prêt à acheter pour se débarrasser des voisins encombrants avec ou sans contrainte. C’est là qu’intervient Munia, une petite fille de huit ans. Sa mère est morte en la mettant au monde. Son père vient la chercher alors qu’elle joue dans les champs et la découvre pendue, alors qu’un sans abri, Mansoor, est auprès d’elle. Est-il le tueur ou bien essayait-il de la dépendre ? Pour le protéger Ombir place le SDF en prison. Ses chefs lui font comprendre qu’il faut que Mansoor soit accusé et condamné, ce qui enlèvera les soupçons qui pourraient peser sur d’autres citoyens, ce qui renforcera l’idée que les musulmans ne sont pas des gens biens et cela éloignera la presse d’un endroit où les magouilles des riches et des politiques pour transformer le paysage agricole en banlieue commencent à se voir. Quand Mansoor est sorti de sa prison par des gens et tué, le policier accepte la version alternative qui parle de suicide et qui va le faire monter en grade. Mais la mort d’une femme, noyée, lui fait se poser des questions. C’était une prostituée qui faisait chanter certains clients pour arrondir ses fins de mois. Même si le corps est retrouvé un peu tard, il se pourrait que les deux crimes aient eu lieu à un moment rapproché : et si la petite fille avait vu l’assassinat de la femme ? Et si ce dernier était un homme influent, bras droit d’un caïd local ?
Si l’on reçoit de nombreux polars des pays nordiques (à croire parfois qu’il y a plus d’écrivains que d’habitants dans ces pays), l’Inde, qui est quasiment un continent à elle toute seule, n’a pas beaucoup exporté ses auteurs de genre. Dans ce texte, Nilanjana S. Roy nous offre une enquête particulière qui ne se concentre pas sur le meurtre et sa résolution, mais sur l’ensemble des éléments, des gens qui peuvent peser sur le dossier, sur les relations des habitants, sur la vie en général qui influe sur le déroulé de l’enquête : entre le racisme latent des hindous par rapport aux minorités, par le jeu des classes sociales qui jouent les unes contre les autres. Le texte brasse donc des descriptions du passé du père, par exemple, dans les endroits les plus glauques du pays (des endroits où vous rentrez du travail pour découvrir que des promoteurs ont détruit vos maisons pour construire autre chose), sur la difficile vie des villageois, sur une corruption endémique qui semble même être si naturelle que personne ne la met en cause, sur un racisme au quotidien qui détruit lentement tout espoir. Les policiers se disent parfois que la violence sur les prisonniers est aussi une solution. De plus, Nilanjana S. Roy place à l’intérieur de cette évocation sombre des images et des scènes qui rappellent la beauté (aller contempler l’Himalaya au loin, se réjouir d’un moment avec sa famille) et un policier humain, trop humain même, éloigné de tout manichéisme, qui essaie de vivre au mieux dans un univers empli de contradictions (rendre la justice dans un pays qui ne veut pas de justice). Black River est donc un texte qui s’appuie sur une structure policière, évoque une enquête, mais surtout décrit tout un pays dans sa complexité, avec force et vitalité.