Corentin Duchaussoy, professeur agrégé, est pourvu d’une certitude : L’ŒIl du cyclope, le manuscrit qu’il vient d’achever, est un excellent livre et il se doit d’être publié par Chalimard, la plus grande maison d’édition de la place. Il envoie donc son manuscrit qui lui revient quelques mois plus tard. Bien sûr le livre a d’indéniables qualités, mais il ne correspond pas à la ligne éditoriale. Corentin Duchaussoy se pose alors des questions : si son roman est de qualité pourquoi ne pas le publier ? Surtout, il se sent parfaitement dans la ligne éditoriale. Il va ennuyer les services de l’éditeur, coucher avec une secrétaire pour essayer d’en apprendre plus avant de l’envoyer à d’autres éditeurs. Il pourrait même passer par des éditeurs peu scrupuleux qui le feraient payer pour le publier. Et puis, il entrevoit une solution : une coach littéraire qui lui promet une grande carrière dans une sorte de pacte faustien (mais n’en serait-ce pas finalement un ?) afin de faire paraitre ce fabuleux Œil du cyclope.
Histoire de merde, d’Alexis Legayet (La Mouette de Minerve – 152 P. 12,50 €)
ISBN : 978-2-487526-14-3
Marius Venius a des ambitions plus modestes (au départ) : il est élu écologiste dans une petite ville de la couronne parisienne. Alors qu’il doit se rendre à une réunion, il va se mettre en retard car il a marché dans une crotte de chien. Horrifié, il commence une croisade de plus en plus exaltée contre ces déjections. Mais il devient l’objet d’attaque : on pose des crottes sur son petit jardin, puis sur son paillasson. Il est surveillé et son univers s’effiloche. Il ramasse les crottes pour en analyser l’ADN et trouver le coupable. Mais la vérité sera peut-être plus amère qu’il ne croit.
Alexis Legayet dans les deux récits va beaucoup emprunter au registre du roman noir (et aussi parfois dériver avec bonheur du côté du fantastique) : chantages, sex tapes, surveillances, agression contre ceux qui se mettent sur le chemin du héros, dérives sectaires, savants fous, analyses dignes de celles décrites avec d’un médecin légiste. Le tout se met au service d’intrigues obsessionnelles qui confinent à la folie sans doute et entraînent ses héros dans un univers kafkaïen ou dickien d’une logique, qui en se purifiant et s’exacerbant, devient psychiatrique. Avec un humour et une ironie qui pourraient rappeler les délires d’un Henry-Georges Clouzot dans Les Espions, les deux romans se dirigent imperturbablement vers une conclusion qui apparait comme le point le plus logique qui soit d’une intrigue échevelée qui pourtant partait dans des directions farfelues. On est comme dans un conte de Jacques Sternberg, un sketch des Monty Pythons, une saynète de Kaamelot ou un texte de Dino Buzatti. C’est-à-dire dans un circuit de montagnes russes qui accélère constamment et dont il est impossible de s’échapper. Alexis Legayet joue avec des thèmes contemporains, les détournant pour s’en moquer : la frénésie des bobos écolos, le besoin de meute des intellectuels. Si l’on reconnait tel ou tel (et cela de manière encore plus flagrante dans L’ŒIl du cyclope), l’on reste entraîné par une mécanique portée à l’incandescence, qui partant d’un petit point déroule toutes les conséquences qui peuvent en découler. Ce sont donc deux titres un peu à l’écart du genre stricto sensu, mais des moments de bonheur et de gaieté, ce qui devient primordial dans notre monde, n’est ce pas ?