Avec l’attentat contre le poste Drakkar, quartier général des troupes françaises à Beyrouth le 23 Octobre 1983, la guerre au Liban s’internationalise. Faisant près de soixante victimes parmi lesquelles le fils de Philippe Kellerman, tout juste arrivé à Beyrouth, l’attaque marque le début d’une nouvelle offensive du Hezbollah, qui passera, entre 1983 et 1986, par des prises d’otages multiples. Tandis que la France est forcée de réagir à cette menace face à ses intérêts au Moyen-Orient, à Paris comme en province, dans des trains, des magasins ou des restaurants, des bombes explosent sous la houlette d’Action Directe. Instruments politiques à droite comme à gauche, ces événements sont au cœur de magouilles agitant les partis en France, alors même que de l’autre côté de la Méditerranée, le Liban s’enfonce dans le chaos à mesure que les factions se scindent en mouvements concurrents dans une guerre civile impliquant toutes les puissances locales. Iran, Syrie, Israël, États-Unis ou France s’y disputent les miettes d’une gouvernance impossible.
Second volet de la « trilogie libanaise » de Frédéric Paulin, Rares ceux qui échappèrent à la guerre resserre l’action autour de la galerie de protagonistes qui peuplaient Nul ennemi comme un frère : en France, où PS et RPR s’affrontent en vue des élections législatives et utilisent la question du Liban, de ses otages et des attentats comme une arme contre le camp adverse, aussi bien qu’à Beyrouth, où les diverses factions chrétiennes et musulmanes tentent de tirer leur épingle du jeu, l’action de ces quatre années de guerre, se déroule autour du destin de quelques figures fictives marquantes, témoins ou acteurs du conflit.
Pièce par pièce, avec une méticulosité d’orfèvre, Frédéric Paulin entrecroise les destins de ses personnages et la grande histoire, se glisse dans chaque événement, chaque réaction politique, pour en dérouler les conséquences et en éclairer le sens, rendre, une fois encore, intelligible une trame dense d’informations un peu oubliées aujourd’hui, et y tracer les concordances souvent délibérément dissimulées par les gouvernements en place. Car comme le montre cette trilogie, tout est lié, et la guerre au Liban ne peut se comprendre que par le complexe jeu d’influences qui s’y joue. Un roman d’une noirceur abyssale, qui pourtant agit comme un coup de projecteur et rend le lecteur plus intelligent, ce n’est pas si commun et mérite d’être salué à sa juste valeur… la plus haute.