En cette fin d’année 1932, entre Noël et le capodanno, la sceneggiata au théâtre Le Splendor de Naples fait salle comble. Le public se précipite et se réjouit d’y voir le couple (dans la vie comme sur la scène) que forme Michelangelo Gelmi et Fedora Marra. Seulement, lorsque le premier tire sur la seconde dans un final musical, après avoir abattu le « traître » Pio Romano (l’ami déloyal), ce n’est pas une balle chargée à blanc qui sort de l’arme. Dépêché sur place, le commissaire Ricciardi est embarqué dans une enquête qui fait écho à la pièce. Seulement, si le coupable est évident, il clame son innocence. C’est lui qui a tiré. C’est lui qui gardait toujours son arme avec lui ou dans sa loge. C’est lui qui a chargé son arme et qui l’a déjà utilisée lors de la représentation matinale. Mais il affirme avoir chargé l’arme avec des balles à blanc. Pour la hiérarchie de Ricciardi, il incombe de boucler l’enquête avant la fin de l’année. Seulement, l’instinct de Ricciardi lui dit que ce n’est pas si simple que ça. Aussi, avec l’aide de son fidèle second le brigadier Maione, va-t-il tenter d’aller plus en profondeur. L’image glamour du couple d’acteurs va en subir les conséquences. Parallèlement, Ricciardi, baron de Malomonte, va se retrouver dans un sacré brouillard sentimental. Car il est amoureux de sa voisine Enrica, promise au major allemand Manfred Von Brauchtisch. Mais si cette dernière l’aime, lui fait face à des sentiments contradictoires quant à son orientation sexuelle. Aussi, tarde-t-il à prendre une décision. Seulement, des gens ont un intérêt à faire rester le major en Italie et il est important qu’Enrica épouse le major. Et puis il y a Livia, une prostituée, cliente régulière du légiste, qui est retrouvée comme morte dans la rue passée à tabac. Pour le commissaire, le brigadier et le légiste, il va falloir mener de front ces trois intrigues qui ont toutes des similitudes.
Avec son titre – Rideau pour le commissaire Ricciardi – cette onzième enquête semble être la dernière, avec son lot d’éléments crépusculaires et mélancoliques (surtout avec son prologue). L’amateur de ce personnage tourmenté imaginé dans un Naples fasciste peut être rassuré : l’auteur a déjà fait paraître en Italie quatre autres de ses romans. Véritable tableau de mœurs, cet épisode peut être perçu comme un hommage au whodunit anglais puisque reprenant le point de départ d’une intrigue de Dorothy L. Sayers : un crime commis sur la scène d’un théâtre en pleine représentation, un classique décliné par la suite. Mais là où la romancière anglaise y mettait de la comédie, Maurizio De Giovanni y installe une tragédie sur trois niveaux avec des couples différents qui représentent des directions différentes. Gelmi a fait Fedora, mais sa gloire est passée. Ricciardi est tourmenté par ce qu’il ressent pour Enrica et ce qu’il est fondamentalement. Le légiste est détruit par la mort certaine de Livia qui lui révèle ses non-actes. Dans cette étude sociétale, le romancier prend le temps de ponctuer différentes trames alors que la fin de l’année, ce capodanno, approche : l’heure du bilan. 1932 est assurément une année-clé pour l’Italie. On quitte les temps insouciants : le sceneggiata vit lui aussi ses dernières heures même s’il se déroule dans ce roman sur plusieurs niveaux (en et hors coulisses). L’année 1932 ne sonne pas également que les dix ans de pouvoir du Duce, elle précède l’arrivée d’Hitler en Allemagne. Le major est là pour nous l’annoncer avec ses airs bonhomme alors que les raisons de sa présence sont sérieux. Derrière lui, une légère histoire d’espionnage où la vie de Ricciardi ne tient qu’à un fil (car il est un élément dérangeant). Fil qui, lui-même, ne tient que « grâce » à une amie du commissaire. Maurizio De Giovanni nous délivre un roman de haute tenue.