Au début du roman, Marie, une jeune femme, se trouve en prison et va raconter à Angèle, son avocate, , ce qui selon elle explicite les raisons pour lesquelles elle est là. Une Marie qui en même temps tente de reconstruire des relations sociales et amicales dans la prison avec d’autres détenues, peut-être au détour des livres, car elle a aussi été une professeure de français. La jeune et solaire Elsie, par ailleurs lumineuse, lunaire ou inconséquente, peut-être même avec quelques atomes de perversité, s’est accrochée à Marie et a plusieurs fois croisé sa vie, s’incrustant, la poussant à une relation hors norme et indéfinissable. Une femme ambivalente, qui travaille dans les soins. Et puis il y a ce territoire, entre Vosges et Alsace, où ces deux femmes se rencontrent, font connaissance d’amoureux qui se rapprochent ou s’éloignent, où elles travaillent, vivent des choses différentes parfois ensemble, se perdent de vue puis se retrouvent.
Le roman de Mari-José Gonand-Stuck se construit ainsi, non pas comme une histoire criminelle implacable, mais comme un roman noir dans lequel le lecteur attentif pioche un comportement étrange, une relation bizarre, mais avec le sentiment que tout est sur le fil, peut virer au noir le plus sombre comme à la lumière la plus pure. L’auteure joue avec des allers-retours réguliers : le présent et le passé se mélangent avec grâce, dans une volonté littéraire menée avec soin et sans volonté de briller inutilement, juste parce que l’on maîtrise l’écriture. Aucune volonté de sa part de « snober » des lecteurs. Elle multiplie des détails qui font sens, qui donnent de la profondeur aux relations des gens, aux sentiments souvent non-dits. L’ensemble donne un livre singulier, éloigné des canons du genre, qui risque de perturber des lecteurs trop accrochés aux schémas et offre un texte en marge, borderline (c’est dire si sa présence dans la collection est justifiée), sur la façon dont on peut vivre et passer à côté de sa vie, de la « vraie » vie, peut-être, mais en laissant une trace sur les autres. Où un simple souffle peut vous faire basculer vers la noirceur des choses.