Dès lors qu'un meurtre est commis, voir à l'œuvre dans ce forfait la patte bien noire du Malin est tout naturel, même si l'on n'entend là que métaphore. Mais il est rare – du moins dans le contexte d'une intrigue policière fondée sur la réalité historique comme le sont les enquêtes de Nicolas Le Floch, commissaire au Châtelet – que Satan soit de la partie. C'est pourtant bien le diable – et dans ses manifestations les plus intrigantes – qui attendra notre commissaire à un certain tournant de l'affaire criminelle qu'il doit démêler.
En ce mercredi 30 mai 1770, Paris célèbre le mariage du Dauphin avec l'archiduchesse Marie-Antoinette d'Autriche. En quelques heures, ce qui aurait dû être une nuit de liesse populaire tourne à la catastrophe : le feu d'artifice prévu sur la place Louis XV se mue en un gigantesque incendie et la foule, paniquée, se disperse en un désordre rendu meurtrier par les tranchées non comblées des espaces en chantier mal sécurisés des environs… Jusqu'au petit matin, Nicolas, l'inspecteur Bourdeau et leur compagnon le chirurgien de marine Semacgus aideront à dégager les victimes, mortes et vives. Les cadavres sont rassemblés au cimetière de la Madeleine. Parmi ceux-là, Semacgus repère le corps d'une jeune fille dont le trépas, manifestement, ne doit rien aux mouvements de foule : son cou porte des marques de strangulation.
Une fois obtenu l'aval de Sartine pour enquêter sur ce qui ressemble fort à un meurtre, Nicolas découvre que la jeune morte a nom Élodie Galaine, ce qui l'amène chez une vieille famille de pelletiers dont les finances sont dans un triste état. Élodie était la nièce du chef de famille. Née aux Amériques où son père était allé chercher fortune, elle était venue en France après la mort de celui-ci.
À peine annoncé aux Galaine le sort tragique d'Élodie, Nicolas perçoit combien l'atmosphère domestique est délétère et empreinte de fausseté la réaction de chacun des membres de la maisonnée. Il flaire d'emblée le ferment du mensonge et de la dissimulation, même chez Naganda, l'Indien micmac envers qui pourtant il avait tout de suite éprouvé une grande sympathie. Et l'étrangeté de l'ambiance régnant dans cette demeure s'épaissit encore des atroces crises nerveuses de la Miette, la servante qu'il faudra exorciser… C'est mettre à bien rude épreuve l'entendement du petit Ranreuil comme l'appelle affectueusement le Roi. Mais Satan aura beau tempêter et grimacer, Nicolas restera jusqu'au bout sagace et, avec lui, ses compagnons d'enquête Semacgus, Bourdeau et Sanson.
Certes, l'intrigue criminelle est bien construite et les personnages sont attachants – fût-ce par leur sinistre pittoresque. Mais si l'on a déjà en mémoire d'autres « enquêtes de Nicolas Le Floch » on réalise vite que, en dehors des récurrences inhérentes au système de la série et des traits imputables à la patte d'un auteur possédant un style caractéristique, quantité de motifs structuraux et narratifs se retrouvent presque à l'identique d'un roman l'autre – scansion du récit par des dates journalières, inserts culinaires, petits intermèdes humoristiques provoqués par la gourmandise de Monsieur de Noblecourt, scène finale de désignation du coupable en présence des suspects… L'on finit par percevoir cette série comme un ensemble de boîtes littéraires toutes pareilles et pareillement aménagées à l'intérieur dont seul le revêtement change – en l'occurrence le contexte historique et les éléments de l'intrigue. L'on concèdera néanmoins qu'un indéniable plaisir de lecture subsiste malgré tout – les « chronismes » lexicaux et syntaxiques sont toujours délectables, et les descriptions minutieuses permettent aux fâchés-avec-l'Histoire de se familiariser en se distrayant avec une époque révolue.
Reste un dilemme… une chronique k-libriste implique que l'on note un ouvrage. Or, ici, quelle note mettre ? Le 4 du nouveau lecteur, qui découvre un roman prenant, divertissant et instructif, bien écrit de surcroît, ou bien le 1 fatigué de celui qui se plongerait là dans une énième « enquête de Nicolas Le Floch » et commencerait à se lasser d'avoir le sentiment de lire encore le même livre ?
NB – Cette troisième enquête de Nicolas Le Floch a été publiée dans la collection « Grands détectives » des éditions 10-18 en janvier 2003. Le téléfilm réalisé pour France 2 d'après ce roman a été diffusé le vendredi 23 octobre 2009 à 20 h 35.