Lune sanglante est le premier volet de la trilogie de James Ellroy consacrée au flic hyper-intelligent Lloyd Hopkins du LAPD écrit en 1984. On y retrouve les éléments qui vont faire la renommée de l'écrivain américain : personnage nietzschéen, protagonistes hantés par le portrait d'une femme, bas-fonds crades de Los Angeles et calculs administratifs policiers – le tout avec une prose incisive aux fioritures amères, une narration inventive et des descriptions urbaines et sociétales à la hauteur. Deux trames narratives viennent se confronter : celle de Lloyd Hopkins, jeune gradé au couple qui se dégrade et qui instinctivement se met à pourchasser un tueur en série non décelé ; celle du tueur, autrement appelé Le Poète, meurtri et violé au cours de son adolescence, amoureux fou de Kathy. Les deux personnages sont pareillement tourmentés mais ont choisi de suivre deux voies opposées. C'est en cela que Lloyd Hopkins peut être taxé de personnage nietzschéen. C'est un surhomme intellectuel dévoué à son métier et qui compense cette force par une faiblesse adultérine à la limite de la compulsivité. Le Poète, lui, cultive son obsession de l'être aimé en chassant des proies qui lui ressemblent. Après des journées, voire des semaines de traque et d'écoute, il passe à l'œuvre et trucide ses victimes alors que dans le même temps il réalise des photos de mariage. Il prend cependant le soin d'élargir son cercle d'action, et son mode opératoire diffère même si l'intelligence de Hopkins va y trouver des points communs. Le roman haletant jusqu'à la dernière page est finement construit avec des personnages aux failles justes qui vont puiser dans un passé triste et violent qui a des répercussions aujourd'hui encore. Hopkins et Le Poète sont les deux faces d'une même obsession qui ne peut aboutir qu'à un jet d'hémoglobine sanglant délivrant les trois protagonistes principaux puisque outre les deux hommes, il ne faut pas oublier la figure tutélaire de Kathy, femme elle aussi tourmentée, libraire et poétesse solitaire. Mais ce qui détonne surtout c'est la profonde humanité d'Hopkins envers les autres et son désir de faire le Bien au détriment de son existence et des siens. Une intrigue dense, des personnages fouillés, un aspect humain omniprésent et une solitude de l'âme à pleurer : Lune sanglante est un putain de bon roman !