Parent pauvre de la politique et des relations internationales, l'Afrique est également sans aucun doute le continent le moins bien représenté pour sa littérature en général et pour son domaine policier. Même si ce n'est sans doute qu'une goutte dans l'océan, il convient donc de saluer l'honorable volonté des éditions Méra de nous présenter un roman policier, qui plus est d'un jeune auteur africain. L'intrigue est de forme classique : Luciano, un écrivain de Port Harcourt qui a du mal à joindre les deux bouts, est chargé par un vieil homme d'une enquête. De fait, l'homme est sur le point de mourir et il veut réparer ses erreurs. Il a eu une maîtresse qu'il a chassé lorsqu'elle a été enceinte. Aujourd'hui, l'enfant, Aniete, a grandi et est devenu étudiant. Mais il semble avoir disparu. Il faut donc que Luciano le retrouve et le ramène au père prodigue. L'écrivain va donc lancer son enquête, mais à peine a-t-il commencé à interroger des condisciples de l'étudiant qu'il est pris à partie. Visiblement, Aniete s'est mis dans une drôle d'affaire et il aurait même organisé un coup foireux et doublé ses camarades (ou alors, il a été lui-même doublé par un complice ce que les autres membres du gang ne savent pas). C'est donc au milieu des coups fourrés, des coups tout court, des interrogatoires musclés que Luciano va essayer de remettre la main sur un jeune homme effrayé, qui se cache dans l'est du Nigeria, et qui a quand même des idées bien arrêtées sur la manière de s'en sortir malgré la présence d'un tueur à gages et de conspirationnistes en tous genres.
Comme on le voit, le thème est assez classique et pourrait être écrit par un écrivain « occidental ». Mais Ikenna Okeh va lui donner du poids grâce à plusieurs points particuliers. Tout d'abord les décors et les personnages, qui décrivent le Nigeria, en proie à des difficultés avec des étudiants qui ne savent comment vivre, des bourses qui n'arrivent pas et la corruption pour obtenir une bonne note, voire seulement parvenir à assister aux cours. Les différents protagonistes permettent de dépeindre une société gangrenée, les entorses avec la loi dans un pays où il faut se débrouiller. Enfin, tout au long du trajet, le détective n'oublie pas d'écrire son roman, celui qui doit le rendre célèbre, qu'il peaufine sans cesse, un roman du réalisme magique, dont certains chapitres forment un contraste saisissant entre la légende et la vie traditionnelle, voire mythique, et le quotidien des personnages, très urbain, englués dans des coups foireux, des trahisons, et des petits arrangements criminels. Très rythmé, balancé grâce aux chapitres plus poétiques, Rebelles venus de l'Est emporte la conviction et ouvre l'imaginaire sur un continent et sur une « production littéraire et policière » qui doit aussi comporter d'autres petits bijoux noirs comme celui-ci.
